Le test de Rorschach au service de l’éducation spécialisée à l’Institut Psychopédagogique de Brazzaville (Congo)

Patient Bienvenu MOUZINGA-KIMBAZA,
Enseignant Chercheur, Université Marien Ngouabi, Brazzaville, Congo
Email : patient.mouzinga-kimbaza@umng.cg

DOI : https://doi.org/10.60481/revue-rise.N1.7

Résumé 

La question de la socialisation des élèves vivant avec handicap, placés en situation d’éducation spécialisée constitue, à travers le monde, un problème éducatif préoccupant. Dans une démarche éducative et sociale globale, les élèves à besoins spécifiques sont soumis à un apprentissage spécialisé, en vue de leur autonomisation progressive. Les stratégies d’intervention dans un tel contexte reposent essentiellement sur la résolution des déficiences, limitations d’activités et restrictions de participation. Pour trouver leur potentielle réalisation, ces stratégies requièrent de connaître, en détail, les modalités du fonctionnement psychique de l’élève, en vue de l’élaboration d’un projet d’accompagnement individualisé ajusté à la problématique conflictuelle profonde de celui-ci. Cette connaissance est offerte, en partie, grâce à l’utilisation des outils de diagnostic fiable. C’est justement dans ce cadre que nous proposons le Rorschach, test de personnalité à efficacité clinique scientifiquement démontrée, comme une alternative pour la mise en évidence de déséquilibres, d’insuffisances et de fragilités rencontrés chez ces élèves en souffrance. L’expérience clinique menée auprès d’un élève vivant avec troubles de l’expression à l’Institut Psychopédagogique de Brazzaville en soutient la lecture.

Mots-clés : Elève, diagnostic, troubles de l’expression, personnalité, Rorschach. 

The Rorschach test in the service of special education at the Psychopedagogical Institute of Brazzaville (Congo)

Abstract:

The issue of the socialization of students with disabilities in special education is a worrying educational problem throughout the world. In a comprehensive educational and social approach, pupils with special needs are subjected to specific learning with a view to their progressive empowerment. Intervention strategies in such a context are essentially based on the resolution of impairments, activity limitations and participation restrictions. To find their potential realization, these strategies require to know, in detail, the modalities of the psychic functioning of the student, with a view to the development of an individualized support project adjusted to the deep conflictual problem of the latter. This knowledge is offered, in part, through the use of reliable diagnostic tools. It is precisely in this context that we propose the Rorschach, a personality test with scientifically proven clinical efficacy, as an alternative for highlighting imbalances, inadequacies and fragilities encountered in these suffering students. The clinical experiment conducted with a student living with an expression disorder at the Psychopedagogical Institute of Brazzaville supports the reading.

Keywords: Student, diagnosis, speech disorders, personality, Rorschach.


Introduction

La question de la socialisation des élèves vivant avec handicap, placés en situation d’éducation spécialisée constitue, à travers le monde, un problème éducatif préoccupant (Capul & Lemay, 2019 ; Tsokini, 2017, Bayette, 2020). On ne saurait douter des efforts consentis à l’échelle mondiale, dans la réalisation de l’ODD-4 (éducation pour tous sans exception), pour accroître les possibilités d’adaptation de ces élèves, ainsi que l’acuité des difficultés communicationnelles auxquelles sont confrontés les éducateurs spécialisés et les autres personnels intéressés par l’enfance inadaptée.

Les problèmes de santé mentale des élèves vivant avec trouble de l’expression sont peu abordés, si bien que leur prise en charge demeure préoccupante. C’est le cas en Afrique et particulièrement au Congo où les élèves déficients éprouvent des difficultés d’adaptation du fait de leur handicap. Aux problèmes de prise en charge s’ajoutent de graves difficultés diagnostiques pour lesquelles il y a des raisons de penser que peu d’outils sont susceptibles d’évaluer, aussi fidèlement que possible, leurs fondements psychopathologiques. Une question assez large se dégage : comment explorer les aspects profonds de la personnalité de l’élève vivant avec un handicap ?

À bien regarder, dans une démarche éducative et sociale globale, les enfants à besoins spécifiques sont soumis à un apprentissage spécialisé, en vue de leur autonomisation progressive (Wacjam, 2009 ; Rouzel, 2004). Les stratégies d’intervention dans un tel contexte reposent essentiellement sur la résolution des déficiences, limitations d’activités et restrictions de participation. Pour trouver leur potentielle réalisation, ces stratégies requièrent de connaître, en détail, les modalités du fonctionnement psychique de chaque élève, en vue de l’élaboration d’un projet de vie ajustée à la problématique conflictuelle profonde de celui-ci. Cette connaissance est offerte, en partie, par l’utilisation des outils de diagnostic fiables.

Ces outils permettent, au moins en partie, de battre en brèche les confusions qui existent dans les déficiences psycho-intellectuelles, comportementales et/ou cognitives, d’autant plus que l’on considère que « la typologie des handicaps chez l’enfant est difficile à établir » (COFEMER, 2009, p.59). Dans ce champ d’intervention, de nombreuses techniques sont utilisées, à visée de compréhension diagnostique de ces élèves en mal d’adaptation, à l’instar de l’Echelle d’évaluation de l’autisme infantile (CARS-T), le Test psychométrique consistant à recueillir les informations dans le domaine de la communication, des relations sociales et du comportement (ADI-R), l’Echelle d’observation pour le diagnostic de l’autisme qui vise à confirmer le diagnostic des troubles de spectre de l’autisme par l’évaluation du niveau de langage et de développement du sujet (ADOS), l’Echelle du profil psychoéducatif de l’enfant (PEP-3), l’Echelle d’évaluation du comportement adaptatif de l’enfant (VINELAND-II) et bien d’autres.

Or, peu de ces outils d’investigation diagnostique aussi riches que pertinents sont directement appliqués à ces élèves, pour accéder à certaines dimensions profondes de la personnalité, dont est pourtant tributaire l’action pédagogique. C’est, justement, dans ce cadre que nous proposons le Rorschach, test de personnalité à efficacité clinique scientifiquement démontrée (Anzieu & Chabert, 1992 ; Chabert et al, 2008) comme une alternative pour la mise en évidence de déséquilibres, d’insuffisances et de fragilités rencontrés chez ces élèves en souffrance, en vue de la conception et l’application des techniques éducatives accommodées à leurs problématiques conflictuelles.

Ce test se veut un précieux instrument de connaissance de la personnalité dont « la sensibilité, la fidélité et la validité sont régulièrement confirmées et précisées » (Chabert, 2018, p.59) et qui nourrit « de par sa place centrale, non seulement un instrument qui a déjà en soi beaucoup apporté, mais également l’outil principal et privilégié de la psychopathologie phénoméno-structurale », affirme Samba (2004, p.215).

L’éducation des enfants vivant avec handicap dépend fortement de la nature de la problématique conflictuelle. Il ne peut être admis de doutes que le handicap ainsi que bien d’autres maladies somatiques, entament l’intégrité physique et psychologique des sujets, notamment dans leurs représentations de soi et dans leurs conduites. Il atteint les sujets dans leurs besoins et leur identité.

De nombreuses études ont essayé d’étudier, à partir des protocoles de Rorschach, la représentation identitaire des sujets vivant avec handicap. C’est en partie les résultats rendus publics par Lombros Stravo et Dimitris Sarris (1997) dans la revue européenne du Handicap où nous pouvons voir les auteurs s’interroger sur la représentation ou la perception du corps chez les personnes vivant avec handicap moteur, laquelle représentation peut être altérée du fait de la déficience.   

Or, il est possible de recueillir, de manière claire, les complexes, les conflits psychiques et les problématiques des limites entre « dedans » et « dehors » (ou entre l’intérieur et l’extérieur du psychisme) chez un élève (adolescent) vivant avec difficultés de l’expression. Le test de Rorschach[1] apparaît alors comme un instrument précieux pour accéder à l’univers psychique de l’élève en difficulté d’expression. Cette épreuve projective peut décrire la structure de la personnalité de l’élève, puisqu’il existe une spécificité au test de Rorschach chez un sujet atteint de ce type de handicap. Grâce au Rorschach, « épreuve des limites » selon Chabert (1987, p.12), nous faisons l’hypothèse que les insuffisances et déséquilibres psychiques se caractérisent par un défaut de mentalisation correspondant à un faible niveau d’élaboration mentale du fait du handicap ; cela s’exprimerait par une articulation précaire entre les réalités interne (dedans) et externe (dehors).

Nous pourrons ainsi voir que lors de la passation du test de Rorschach, un sujet en difficulté de l’expression peut énoncer quelques mots, quand bien même difficiles à discerner au sens strict du terme par quiconque possédant des fonctions supérieures. Seulement, les mimiques qui remplissent, de manière indirecte, la fonction d’énonciation peut s’avérer d’un grand intérêt dans l’expression émotionnelle et comportementale, puisqu’elles traduisent des choses ou des évènements de la réalité interne perçus par ce dernier. Le langage gestuel ou mimique est en effet un moyen de mettre fin à l’insignifiance du matériel que suscite le test de Rorschach. Par ailleurs, si l’on considère, comme Amodo (1982, p.28), le fait que « tous les ratés et les faux pas de la vie psychique s’expliquent à l’intérieur de la conception psychanalytique, à partir d’expériences infantiles », il s’ensuit alors la nécessité de convoquer le modèle psychanalytique en vue de cerner les modalités internes du fonctionnement mental (Freud, 1968).

En conséquence, évaluer les réponses au Rorschach comme expressions particulières des aspects cognitifs, affectifs et défensifs du sujet éprouvant des troubles de l’expression, revient à revisiter les bases théoriques de la psychanalyse comme référentiel théorique essentiel en psychologie clinique et en psychopathologie (Andronikof, 2008). Cela renvoie à traiter du fonctionnement psychique qui impose un retour aux modèles topiques de l’appareil psychique (Ça, Surmoi, Moi), mais aussi et surtout à la notion de l’inconscient dynamique, l’essentiel de la vie psychique selon Freud (1896), d’autant plus que « l’inconscient associe en chaine des images, des idées, des sensations, des symboles, qui se coupent et se recoupent avec une extrême complexité » (Poujol, 2007, p.206).

1.      Méthodologie de la recherche

Notre expérience a été réalisée à l’Institut Psychopédagogique de Brazzaville, un établissement fonctionnant comme une école spéciale sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales et de l’Action Humanitaire. Cet institut s’emploie, entre autres, à organiser le dépistage, l’évaluation et l’orientation ; assurer la rééducation et l’insertion des enfants vulnérables ; élaborer et exécuter le projet d’accompagnement personnalisé pour chaque enfant ; assurer le suivi et l’accompagnement médicosocial, psychoéducatif pour chaque enfant.

Notre expérience s’est fondée sur un matériel clinique, sur le travail du cas unique. Dans ce contexte, rappelle Tsokini (2017, p.220), « la procédure d’analyse repose sur une approche compréhensive fondamentalement clinique qui consiste à dépouiller le cas en tenant de dégager les éléments significatifs, c’est-à-dire les indicateurs de sens qui situent le processus de conflictualité à travers une problématique existentielle où l’angoisse est le mécanisme clé ».

La démarche voudrait bien que l’élève (adolescent) auprès de qui l’expérience clinique a été menée ait plus de liberté d’expression que possible, afin qu’il se révèle du mieux qu’il pouvait. L’observation et l’écoute clinique ont été placées au cœur de la clinique, car « la référence à des savoirs constitués préalablement n’est pas l’unique point d’appui de l’opération diagnostique. Elle s’effectue d’abord à partir de l’observation, de l’écoute d’un sujet dans un entretien » (Jacobi, 2005, p.64).

La constitution d’une équipe de deux psychologues cliniciens qui ont procédé à des cotations différentes à partir desquelles une cotation consensuelle a été retenue sur les points de convergence et de divergence. Cette implication conjointe de deux professionnels a été rendue impérieuse pour réduire les écarts dans le processus de cotation, puisque la prise du protocole pouvait varier d’un évaluateur à l’autre.

Pour y arriver, la première étape a consisté à obtenir, non seulement le consentement éclairé des parents de l’élève et celui des dirigeants de l’établissement, mais aussi quelques données cliniques préliminaires, grâce aux entretiens préliminaires. Quant à la deuxième étape, il a été question de soumettre l’élève au test de Rorschach dans une salle de consultation psychologique adaptée.

Dans un premier temps, nous avons d’abord organisé une entrevue avec l’élève et ses parents. La collecte de diverses informations a été rendue possible grâce aux entretiens de type semi-structurés, en vue de comprendre quelques traits caractéristiques de l’histoire et de la personnalité de l’élève, notamment son passé, son parcours scolaire, son histoire médicale, sa dynamique familiale et conflictuelle, ses habitudes de vie, ses antécédents, etc., dans un climat de confiance, soubassement de la relation d’aide. Les données de ces entretiens ont été conservées dans une fiche d’observation psychologique dont nous nous sommes servis dans l’analyse des résultats.

Dans le second temps, le test a été administré à l’élève : l’expérience consiste à présenter, les unes après les autres, les dix images fortuites que comporte ce test, en demandant au sujet : « qu’est-ce que cela pourrait être ? », Rorschach (1967, p.2). Au cours de la passation du Rorschach, nous présentons les dix planches de l’épreuve projective et invitons l’élève, qui s’y prête, à dire ce à quoi ressemble chacune de ces images, en produisant un protocole de réponses de sorte que ce protocole de réponses corresponde à la structure de sa personnalité (Anzieu, D. & C. Chabert, 1992). Tout a été fait au bénéfice de l’élève puisque la recherche le concernait d’une manière ou d’une autre.

La cotation a été faite compte tenu de la productivité dynamique, étant donné que « la cotation de chaque réponse ou récit ne s’effectue pas isolément, mais bien à la lumière du réseau associatif que constitue le protocole, en tenant compte de sa dynamique interne » (Camps & Malle, 2020, p.19). La liste des sigles et symboles du Rorschach en usage en France a permis l’encodage du protocole. Les données issues de la clinique de passation, la cotation et les caractéristiques quantitatives de l’ensemble de la production protocolaire ont été inscrites dans un psychogramme.

Le nouveau manuel de cotation des formes au Rorschach publié par des cliniciens de grande renommée (Chabert, Azoulay & Corroyer, 2016) a servi de référentiel théorique fondamental au regard de sa base actualisée de repères qu’elle offre. Lorsqu’une forme semblait s’écarter du manuel, la prise en compte des conditions socioculturelles a été déterminante dans l’encodage. Le schéma interprétatif s’est fondé sur l’expression de l’identité, puisque « dans le Rorschach le manque de différenciation de soi transparait à travers des réponses parcellaires ou globales, maux adaptés au percept, souvent stéréotypées et se référant à un monde végétal ou animal dont les limites sont floues, ou au corps », affirment Rausch de Traubenberg et Boizou (1996, p.80).

En effet, c’est au travers des planches unitaires qu’a été évalué le sentiment d’identité. Pour cela Chabert (1998, p.49) estime que « ces planches constituent une mise à l’épreuve des limites entre dedans dehors », et les représentations des relations, au travers des planches bilatérales. Quant à l’organisation défensive, celle-ci a pu être évaluée à partir des manifestations directes au cours de la situation projective, mais aussi et surtout à travers la possibilité ou non des stratégies de recours à la réalité, à l’affect ou à la fantaisie. Green (1973, p.6) a souligné cette spécificité lorsqu’il écrit : « l’affect est entre soma et psyché [...] L’affect est lié, d’une part à la fonction de communication, donc du langage, d’autre part à l’expérience corporelle par l’image motrice de la décharge ».

Il faut reconnaître le fait qu’évaluer les éléments de psychopathologie d’un élève (adolescent) vivant avec des difficultés de l’expression est un exercice fastidieux. Le recours au test de Rorschach a été associé à l’atout qu’il possède, de contribuer à la mise en place d’un diagnostic clinique et la compréhension des mécanismes fonctionnels psychiques, simplement en raison du fait que « sa sensibilité, sa fidélité et sa validité sont régulièrement confirmées et précisées », rappelle Chabert (2018, p.59).

Des entretiens cliniques de type semi-directifs avec l’élève (adolescent) ont précédé la passation du test de Rorschach. Ces techniques de recueil de données cliniques ont permis d’obtenir les résultats qui sont ci-dessous présentés.

2.      Résultats de l’étude de cas

L’étude de cas que nous présentons dans cette contribution a été réalisée à l’Institut Psychopédagogique de Brazzaville auprès d’un élève (adolescent), que nous appellerons LOEMBA[2], placé en situation d’éducation spécialisée. L’intérêt est d’abord fondé dans l’intention que la clinique en milieu congolais porte aux liens potentiels existant entre la souffrance et le trouble de l’expression, ensuite sur l’extrapolation possible dont pourraient faire l’objet ces résultats sur une population large d’enfants et adolescents vivant avec ce genre de difficultés en contexte d’éducation spécialisée.

2.1.   Un brin d’histoire d’un adolescent avec difficultés de l’expression

Reçu par une assistante spécialisée le 13 octobre 2012 en raison du retard du langage, LOEMBA (15 ans) est un élève placé en situation d’éducation spécialisée à l’Institut Psychopédagogique de Brazzaville. De nationalité congolaise, le jeune élève habite avec ses parents dont il est encore dépendant dans un quartier au nord de Brazzaville. De niveau économique faible, ses parents expliquent les conditions de sa naissance : des antécédents prénataux (accouchement par césarienne). En effet, dès sa naissance, LOEMBA a été admis au service de néonatalogie du Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, à la suite des fortes fièvres couplées avec une faiblesse des membres inférieurs. Il y reste admis en hospitalisation pendant sept (7) jours. Ces troubles ont évolué jusqu’à environ 9 mois.

Les troubles de langage ont commencé ainsi à se laisser constater. Ses parents le décrivent comme timide, mais il s’amuse avec les autres jeunes de son âge. En classe, l’élève est plutôt agité ; se calme lorsque la maîtresse le blâme, provoque les amis, aime aller au tableau, répond aux questions qui lui sont posées. Il fait bien le coloriage, le collage, le graphisme et le reste des activités. Cette amélioration lui autorise le passage dans le groupe d’adaptation. Il est admis dans le groupe de maturation en octobre 2012. Les avis et suggestions des personnels de son établissement (éducateurs spécialisés, psychologues, etc.) convergent vers le renforcement des acquisitions à travers notamment la lecture et le calcul.

L’observation clinique trimestrielle a établi que LOEMBA affiche un comportement global dominé par une hyperactivité. Elève très propre, il se plaint souvent, aime jouer avec ses amis, s’adonne journellement aux épreuves de confrontation ou d’opposition avec ses amis. Il prend bien soin de lui et fait ses besoins à l’endroit approprié. Pour l’essentiel, quand bien même que cet élève serait en situation de handicap (difficulté de l’expression), rien n’interdit d’expérimenter l’outil projectif du Rorschach qui est toujours proposé aux sujets doués de langage[3]. Le jeune élève n’est pas sous la prise en charge orthophonique à cause du manque de spécialiste dans son établissement. Aucune addiction ou consommation de psychotropes n’a été signalée par ailleurs.

2.2.   Rorschach de LOEMBA

LOEMBA accepte de se soumettre au test de Rorschach avec le consentement de ses accompagnants. Durant 48 minutes, il formule des réponses de manière tant directe qu’indirecte (mimique). Bien qu’il éprouve des difficultés à s’exprimer, il évoque des réponses qui sont reprises dans le tableau ci-après.

TABLEAU I Protocole de Rorschach de LOEMBA

Pl.

RÉPONSES

ENQUÊTE

MA

D

C

FA

I

24"

˄ prend et dépose la planche ; il fixe longtemps l’engramme. Avec zozotement il dit :

 

§  l’oiseau

 

§  le cahier

Il montre les deux lacunes intérieures supérieures

Il ne sait plus où il a vu la réponse

 

 

 

 

 

Ddbl30

 

G

 

 

 

 

 

 

F+

 

F-

 

 

 

 

 

A

 

Obj

Choc au noir

 

 

Ban

II

23"

˄ > ˄ (retournements)

 

§  ˄ le dessin animé

 

 

Il désigne le rouge supérieur (droite et gauche)

 

 

D12

 

 

CF
→kob

 

 

 

Obj

Choc au rouge

III

15"

§  ˄ le feu

Il désigne la partie rouge centrale

D3

CF

 

Feu

 

IV

43’’

˄ fixe longtemps l’engramme et touche du doigt la partie noire de la planche et reste muet.

À l’enquête des limites, il revient sur le dessin animé
(G         F±         A)
       → FClob

 

 

 

 

Choc au noir

V

20’’

 

§  ˄ Il prononce un mot incompréhensible avec zozotement (daveil) et accompagne par la mimique en secouant latéralement ses bras comme le fait un oiseau ou tout animal assimilé.

Il désigne le détail supérieur (deux antennes).

G

Kan

A

Ban

VI

12’’

 

§  ˄ Il sourit ; sans hésiter, il évoque le dessin animé (persévération)

 

 

Il désigne la partie supérieure.

« Zô » qui signifie un grand arbre
(G F± Pl)

D3

F-
→kob

Obj

 

VII

19’’

§  ˄ Il place son index sur la planche et touche la partie latérale gauche en évoquant « le nono » qui renvoie à un insecte.

Il désigne la moitié latérale gauche.

Dd9

A

 

VIII

17’’

 

§  ˄ Il place, pour une seconde fois, son index sur la partie latérale rose puis évoque « le nono » qui renvoie à un insecte.

Il désigne la partie rose latérale.

D1

CF

A

 

IX

25’’

§  ˄ ˅ ˄ (retournements)

Sans hésiter il évoque la cour.

Il désigne l’ensemble de la planche.

G

F-

Pays

 

X

24’’

§  ˄ Il évoque « les nonos » (qui renvoient aux insectes).

Il désigne toute la planche

G

A

 

CHOIX (+) : II, VIII : Planches agréables

CHOIX (-) : IV, VI : Planche désagréable

Source : prise de protocole de l’auteur (2021).

2.3.   Psychogramme

Les caractéristiques quantitatives du protocole se répartissent de la manière suivante :

R = 10 (2 additionnelles)

Refus = 1 (planche IV)

T = 48 minutes

T.A. = G – D – Dd - Ddbl

Ban = 2

RC% = 30%

TRI (1) = 0 KΣ / 3C

TRI (2) = 1kan / 0E

 

Balance = extratensif.

 

G = 4 (40%)

D = 4 (40 %)

Dd = 1 (10 %)

Ddbl=1 (10%)

F = 6

F+ = 1

F- = 3

F± = 2

Kan = 1

CF = 3

 

F% = 60%

F% élargi = 70%

F+% = 33 %

F+% élargi = 42.8%

 

A = 5 (45%)

 

Obj = 3

Feu = 1

Pays = 1

2.4.   Analyse du protocole de Rorschach

D’emblée, après avoir pris place, LOEMBA nous dit : « bonjour » ! Le contact parait réussi et semble être l’indice du maintien des liens avec la réalité. En 48 minutes, l’adolescent a produit un protocole de réponses (R = 10 ; Réponse additionnelle = 2 ; Refus = 1) qui rendent peu projectif l’ensemble de la production protocolaire. Les phrases sont très brèves et le débit verbal peu élevé paraît être dominé par le zozotement qui traduit effectivement le trouble de l’expression dont il souffre.

À la planche I, LOEMBA prend la planche puis la dépose. Il la reprend et la tient à l’endroit. Il est plutôt frappé par l’engramme qui capte son regard qui se montre très direct : il semble être confronté à une stupeur affective due au choc au noir. Seulement, ce choc émotionnel est dépassé lorsque, sans possibilités de renversement manifestes, il formule la première réponse avec un zozotement (« l’oiseau » : Ddbl30, F+, A) vu dans le détail blanc, ensuite une deuxième réponse (« le cahier ») associé à une perception incorrecte débouchant sur un objet (« le cahier » : G, F-, Obj.). Le passage d’un contenu animal perçu normalement (banalité) à un contenu objet bien éloigné de l’ordinaire, montre bien une difficulté dans l’activité de la pensée. Cela se voit, à l’enquête, lorsqu’il montre les deux lacunes intérieures supérieures pour désigner le contenu « oiseau », quoi de plus normal, mais il ne sait plus où il a vu la réponse.

À la planche II, il reste muet, retourne plusieurs fois la planche et semble, une fois de plus, éprouver un choc au rouge, ensuite une image lui vient à l’esprit puis il évoque, avec zozotement, « le dessin animé » (D12, CF, Obj.) perçu dans le grand détail où la couleur rouge domine l’approche formelle avec la tendance d’une kinesthésie d’objet (kob). Sans qu’aucune autre réponse supplémentaire ne soit formulée à l’enquête, on voit bien qu’il désigne le rouge supérieur (droite et gauche) et y reste fixé longtemps. Une forte sensibilité au rouge se révèle à cette planche.

À la planche III, aucune saisie globale n’est faite, plutôt un détail spécifique lorsqu’il évoque dans une appréhension partielle bien plus étonnamment spécifique : le contenu « feu » (D3, CF, Feu), ceci grâce à la prédominance de la couleur puisqu’il désigne la partie rouge centrale de la planche. Cette saisie est bien plus étrange qu’elle se réfugie dans un détail associé à une perception essentiellement déterminée par la couleur. L’enquête ne donne pas grand-chose et montre à quel point le sujet éprouve d’importantes difficultés dans le processus de la pensée.

À la planche IV, les mots lui manquent pour traduire une représentation qui, pourtant, ne manque pas d’essayer de s’exprimer. Il ne donne aucune réponse bien qu’il reste fixé pendant longtemps à la planche. Ce refus fait la médiation d’une difficulté à attribuer un contour formel à l’engramme vis-à-vis duquel il éprouve une angoisse pour le moment diffuse. Cela montre le renouement à la stupeur affective éprouvée dans les deux précédentes planches. À l’enquête, par une mimique de battement latérale de bras, il évoque un contenu animal volant, « l’oiseau » (G, F±, A), comme il essaye de le montrer sur une carte fixée sur l’une des parois de la salle portant le dessin d’un oiseau, sur fond de tendance anxiogène (FClob) connotant une stupeur affective.

À la planche V, une saisie partielle d’un contenu énigmatique s’ouvre, il désigne les deux antennes (détail supérieur) : il prononce un mot incompréhensible avec zozotement (daveil). La mimique qui accompagne ce mot donne sens à ce mot. Cette mimique se traduit par un secouement latéral des bras (il secoue latéralement ses bras comme le fait un oiseau ou tout au moins un animal assimilé). Une kinesthésie animale transparait au travers de cette appréhension globale associée à un contour formel bien campé, il renoue, grâce à la production d’une réponse banale, avec le contenu « oiseau » (G, Kan, A). L’enquête n’a pas apporté grand-chose, mais il renoue avec le contenu « oiseau » vu à la première planche (réponse accompagnée par la mimique).

À la planche VI, il semble détendu puisque sans pour autant hésiter, il sourit puis reste fixé au contenu précédemment évoqué (« le dessin animé ») sur fond de persévération du contenu « dessin animé » qui se fait alors place ; il évoque en détail l’objet « dessin animé » associé à une forme incorrectement perçue ; il désigne la partie supérieure de la planche (D3, F-, Obj.). À l’enquête, une réponse additionnelle vient marquer la tentative de récupération de la pensée, tentative assortie d’une tendance kinesthésique d’objet géant en apparence anxiogène, le contenu « Zô » (G, F±, Pl) qui signifie un grand arbre suivant l’explication que nous donne sa mère et qu’il confirme par la suite.

À la planche VII, prenant la planche à l’endroit sans une moindre possibilité de retournement, il place son index sur la moitié latérale rose et fait une appréhension en petit détail associée à une approche formelle douteuse et dominée par la sensibilité à la couleur (il désigne la moitié latérale gauche) ; il évoque un contenu spécifique « nono » qui renvoie à un « « insecte » (Dd9, F±, A). À l’enquête, il fait preuve d’une insistance sur la moitié latérale gauche où il a vu sa réponse.

À la planche VIII, faisant signe de manque de renversement de la planche tenue à l’endroit, une persévération se profile au travers de l’évocation d’un contenu déjà évoqué qu’il désigne, une fois de plus, par son doigt bien avec une forte connotation à la couleur qu’à la forme ; il place son index sur la partie latérale rose puis évoque « le nono », le fameux « insecte » (D1, CF, A). Il semble touché par l’apparition de la couleur latérale rose : il caresse à l’aide de son petit doigt le détail latéral rose avant de rendre la planche.

À la planche IX, il fait preuve de plusieurs tentatives d’exploration de la planche tenue à l’endroit puis renversée ; il désigne, à partir de l’appréhension de l’ensemble de la planche, un contenu aux contours formels vagues (« la cour »). Vu dans sa globalité, ce contenu reste associé à un contour formel de mauvaise qualité (G, F-, Pays.). À l’enquête, il désigne l’ensemble de la planche sans en faire un commentaire supplémentaire.

À la planche X, planche tenue uniquement à l’endroit, il fait une saisie globale puis il évoque dans un contexte épars des contenus disparates où le contour formel s’inscrit dans des formes imprécises ; il évoque « les nonos » qui renvoient aux insectes (G, F±, A) précédemment évoqués aux planches VII et VIII. À l’enquête, il désigne toute la planche et reste fidèle aux insectes vus dans leur ensemble durant la phase spontanée.

À l’épreuve des choix, des tendances agréables transparaissent au travers du choix des planches II et VIII comme planches jugées agréables par le sujet. À ces planches, il évoque le contenu « dessin animé » puis le contenu « nono » ou insecte. Quant aux planches IV et VI, celles-ci lui paraissent désagréables, donc mobilisatrices d’émotions déplaisantes. La planche IV est celle qui a été refusée ; ce refus marque le niveau anxiogène que recèle l’engramme.

2.5.   Commentaire

L’ensemble de la production protocolaire montre, dans un équilibre précaire entre la réalité interne et la réalité externe, une oscillation entre pensée et image. Dans la dimension structurale, les données ne semblent pas entrer dans la logique structurante de l’identité de soi au travers de la projection d’images floues et mal différenciées (I : « oiseau », « cahier », II, VII : « dessin animé », « nonos », III : « feu »). L’approche perceptive est essentiellement dominée par des appréhensions globales de mauvaise qualité (40%). Les grands détails (Dd) sont moins fréquents (40%), les petits détails (10%) et les détails blancs (10%) occupent une faible proportion.

Ce qui pointe, en plus de l’indice de stéréotypie (A = 45%) une utilisation limitée de l’intelligence et de la capacité imaginative : les troubles du langage dont souffre cet adolescent attestent cette hypothèse. LOEMBA dispose de la capacité de se représenter une image de soi (au regard des tendances de kinesthésies d’objet), mais cette capacité n’est pas utilisée efficacement. Ce qui traduirait les frontières poreuses qui rendent l’identité floue qui est menacée de fusion. Quant à la dimension sensorielle, les affects semblent tantôt liés aux représentations tantôt désunies, tantôt liées aux affects d’agressivité. La problématique conflictuelle renvoie à une angoisse d’éclatement comme le montrent les planches X.

La forte émergence pulsionnelle (II et III) se traduit par la fluidité du zozotement et montre bien la faiblesse du refoulement, puisque si dans les personnalités mentalisées, les instincts sont maîtrisés au profit de la réalité, il n’en va pas de même chez LOEMBA. Ce qui fait que le mécanisme de défense mobilisé par le Moi manque à ce dernier pour aménager la relation à travers le langage. Les styles de relations d’objet se révèlent à travers des indices sur de possibles fixations à des stades archaïques comme on peut le voir à partir des globalisations qui renvoient à une expression de l’oralité et des appréhensions parcellaires décousues renvoient quant à elles à l’analité.

Le caractère désexualisé dans ce protocole montre bien de quelle manière la problématique œdipienne (difficultés identificatoires) a été vécue et détermine les difficultés de symbolisation. Le conflit psychique paraît relever d’un compromis extrapsychique lorsqu’on examine le rapport des déterminants kinesthésiques très pauvres et sensoriels enrichis (TRI-1= 0 KΣ / 3C ; TRI-2 = 1kan / 0E), les tendances kinesthésiques d’objets dissimulées dans les réponses aux planches (II et VI). Cette extratensivité confirme l’hyperactivité identifiée chez l’élève qui est décrit comme hyperactif.

Chez LOEMBA, les processus de pensée montrent l’existence des capacités de définition d’un espace temporel dans lequel il prend pied (F% = 60%, F% élargi = 70%, F+% = 33 %, F+% élargi = 42.8%). Toutefois, des failles dans l’organisation de la pensée transparaissent à travers l’évocation des contenus à symbolisme agressif (planche III : « feu ») ; aussi, à partir de l’évocation d’un contenu paysage (planche IX : « cours »), on peut le voir également à travers la répétition du contenu dessin animé aux planches II et VI sans rapport avec la tache d’encre. D’intelligence quasiment pauvre (Ban = 2), les possibilités de renversements de planches sont réduites. L’absence des banalités aux planches qui les sollicitent habituellement font médiation d’un faible investissement de la réalité extérieure. La faible participation kinesthésique (une seule kinesthésie animale à la planche V) montre bien des difficultés de se représenter une image de soi ferme témoignant également d’une expérience narcissique trouble. Ces difficultés semblent s’orienter vers des tentatives de colmatage d’une béance comme on peut le voir à travers le concours des déterminants sensoriels (RC% = 30%). Le conflit psychique qui en dynamise la structure paraît diffus puisqu’il s’active à travers une angoisse qui, selon certains indices, paraît être de type d’anéantissement (comme à la planche IV, FClob), et d’après d’autres indices, elle semble se rapprocher d’une crainte de perte d’objet (planche I). C’est l’enjeu d’un système défensif qui y trouve toute sa portée. Aux planches bilatérales (« dessin animé » aux planches II et III par exemple), les contenus ne sont pas vraiment sexualisés, ce qui montre que la problématique œdipienne n’a pas été complètement élaborée au sens freudien du terme.

3.      Discussion

Les caractéristiques du protocole de LOEMBA peuvent faire appel aux discussions incessantes. Le problème de l’articulation et la phonation ne sont pas restés sans poser de problème. Quelques éléments de discours traduisent le zozotement comme la planche V où le mot daveil[4] est prononcé. Les nombreuses coupures de lien montrent bien que l’articulation entre la réalité interne et la réalité externe est fragile.

Il n’est pas facile d’apprécier ces limites chez l’adolescent, puisque celui-ci est encore en développement, rien n’est encore stable. L’insuffisance de banalités (planches I et V) couplée à des appréhensions syncrétiques, le tout dans une succession en apparence normale, montre bien la pauvreté imaginaire vécue par LOEMBA comme une menace, Amado (1982, p.29) écrit : « dans la folie ou la maladie mentale, la participation du moi à la nature est gravement troublée ». Ici, la fragilité des limites entre « dedans » et « dehors » ne renvoie pas à une existence, puisque « l’existence n’est pas le psychisme. Elle est l’« Etre-là », la réalité vécue. L’esprit et le corps sont les champs dans lesquels elle se réalise », rappelle Amado (p.55). Par ailleurs, Green (1991, p..389) disait déjà que :

« Chez beaucoup de patients, nous ne pouvons pas considérer tout le travail psychique qui s’élabore en eux, normal ou pathologique, comme étant déterminés par le jeu pulsionnel uniquement, et que la part prise par l’objet dans cette élaboration est un facteur d’indifférence qui entre en jeu dans la constitution de la subjectivité par des effets hors de l’ordinaire ».

Il faut reconnaître le fait que LOEMBA n’était pas ouvertement « demandeur »[5] bien qu’il ait accepté de participer à cette recherche. Ce qui pouvait constituer un biais, car « l’acceptation de la passation de tests à des fins de recherche est souvent déterminée par des motivations composites », affirme Chabert (2018, p.51).

Ces observations cliniques soulèvent également quelques écueils. Si le handicap constitue un facteur d’expression du sujet, il reste alors à distinguer les effets du contexte et de l’histoire qui sont bien souvent cachés. L’Organisation Mondiale de la Santé envisage le handicap comme un « terme générique qui désigne les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de participation. » (COFEMER, 2009, p.5). Compte tenu de cette définition, les limites entre « dedans » et « dehors » s’inscrivent dans un versant trouble des composantes d’activité et de participation, donc une incapacité (Brunet, 2010 ; Mouzinga-Kimbaza, 2019). Les consignes, la prise de protocole et les interventions ont aussi connu d’importantes difficultés, la restitution de la situation projective n’a pas été faite au risque de traumatiser les parents de l’adolescent. 

4.      Perspectives thérapeutiques et/ou pédagogiques

Il est souhaitable d’organiser pour cet élève une prise en charge globale, personnalisée et modulable impliquant à la fois sa famille et les acteurs de l’Institut. L’objectif sera de l’accompagner dans son développement tout en réduisant et prévenant les complications en vue de son autonomie et partant, de son intégration sociale. Vivant avec handicap, ce dernier présente une dynamique psychique se situant à un niveau d’élaboration de l’identité et de l’expérience des limites entre dedans et dehors fragile. Cela convoque une approche qui intègrerait globalement le projet de vie de l’élève dont la problématique conflictuelle semble principalement être de nature narcissique.

Il faudrait définir un cadre thérapeutique qui puisse inclure au sein d’une équipe thérapeutique aux compétences multiples (psychologues, cliniciens, éducateurs spécialisés, orthophonistes, médecins, etc.). L’avantage de la mise en application d’actions conjointes appellerait nécessairement à l’établissement d’un programme de rééducation et de réadaptation dans lequel les parents de l’élève prendraient activement part. De manière plus subtile, un travail sur le renforcement du sentiment d’identité sera nécessaire puisque cet élève, comme de nombreux cas d’adolescents en souffrance, se trouve en mal d’identité, car il est question « d’explorer le point de contact entre ces deux dimensions de l’organisation identitaire » (Mouzinga-Kimbaza, 2019, p.71).

Cependant, une appréciation des faiblesses ne pourrait véritablement permettre une rémission souhaitée des troubles d’expression dont souffre cet élève, puisque l’on considère habituellement qu’évaluer les handicaps, quels qu’ils soient, ne peut évidemment se limiter à l’évaluation des fonctions, mais doit tenir compte du mode de vie propre du sujet. Il faudra donc organiser un travail en considérant son mode de vie, sa personnalité, ses déficiences, ses besoins, ses loisirs, etc. Pour dire amplement, il s’agit de bâtir un projet d’accompagnement individualisé dans une trajectoire impliquant à la fois, l’institution, la famille et l’adolescent (Tsokini, 2017).

Ainsi, l’urgence thérapeutique étant de mise, le projet d’orientation devra mêler les procédés cognitivo-comportementaux basés sur le jeu et les renforcements positifs, sur fond d’exercices psychoéducatifs et de prise en charge orthophonique qui permettraient à l’élève de poser des limites par rapport à son corps, son temps, ses capacités, son image personnelle, etc. Les éducateurs spécialisés devront donc tenir compte de ce type de fonctionnement mental dans les diverses étapes de la progression pédagogique, en veillant à proposer des activités d’apprentissage allant du simple au complexe. L’intérêt est essentiellement fondé dans l’intention de soutenir l’élève en mal d’expression, dont les besoins fondamentaux ne sont pas toujours comparables à ceux d’enfants et d’adolescents adaptés. La famille devra aussi être impliquée, car « dans sa famille ou à l’école, l’enfant peut déjà se montrer Victime, Sauveteur ou Persécuteur, répétant ainsi les rôles qu’il jouera à l’âge adulte » (Poujol, 2007, p.384).

Conclusion

Evaluer les déséquilibres du Moi de l’élève (adolescent) vivant avec difficulté de l’expression enrichit les connaissances susceptibles d’en booster le processus de prise en charge psychologique. À partir d’une logique fondée sur l’analyse des processus de pensée, des problématiques et traitements des conflits et du système défensif, grâce au test de Rorschach, nous avons tenté de mettre en évidence les indices révélateurs d’un mode de fonctionnement psychique fragile. Nous avons vu qu’il est possible d’accéder aux aspects profonds et/ou dynamiques de la personnalité du sujet, sur lesquels il est important d’appuyer des interventions. On peut affirmer sans ambages que les éléments cliniques relatifs au cas clinique d’un élève vivant avec difficultés de langage, placé en situation d’apprentissage spécialisé, sont parfaitement illustratifs d’un mode de fonctionnement psychique plus ou moins mal mentalisé dans un contexte bien particulier marqué par le handicap (difficultés de l’expression). Nous espérons rendre ici lisible la précarité des limites entre « dedans » et « dehors » qu’endure cet élève. Il peut sembler étrange que l’administration du test de Rorschach à un adolescent éprouvant des difficultés de langage donne de résultats escomptés, mais il a paru légitime de recourir à cet outil pour tenter, au travers de la compréhension psychopathologique, de scruter les abysses de la personnalité.

Références bibliographiques

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Brunet Louis (2010). « Limites, transferts archaïques et fonctions contenantes », Traité de psychopathologie de l’adulte. Les Psychoses, Paris, Dunod, pp.133-171.

Camps François-David & Malle Gaëlle (2020). S’entrainer à la cotation du Rorschach et du TAT. Interprétation psychanalytique. Paris, Dunod, 149p.

Capul Marice & Lemay Michel (2019). De l’éducation spécialisée (NE), 12e édition, Paris, Eres, 624p.

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Collège Français des Enseignants Universitaires de Médecine Physique et Réadaptation COFEMER (2009), Handicap-Incapacité Dépendance, 3e éd., Paris, Masson, 150p.

Freud Sigmund (1968). « Pulsions et destins des pulsions », Métapsychologie, Paris, Gallimard.

Green André (1993). Le travail du négatif, Paris, Minuit.

Mouzinga-Kimbaza Patient Bienvenu & Ghimbi Nicaise Léandre Mesmin (2021). « De l’instabilité identitaire comme expression du ʺmoi-limiteʺ. Analyse à travers le Test de Rorschach », Revue Internationale de Recherches et d’Etudes Pluridisciplinaires, n°33(1), p.60-71.

Mouzinga-Kimbaza, Patient Bienvenu (2019). L’Etat-limite : questionnement autour de cette entité nosologique en clinique interculturelle au Congo-Brazzaville, Thèse de doctorat unique en psychologie, non éditée, Université Marien Ngouabi, Brazzaville, Congo, 371p.

Poujol Jacques (2007). L’accompagnement psychologique et spirituel, Guide de relation d’aide, Empreinte Temps présents. Paris, France, 436p.

Rausch De Traubenberg, Nina, & Boizou Marie-Françe (1996). Le Rorschach en clinique infantile. L'imaginaire et le réel chez l'enfant (éd. 2), Paris, Dunod, 345p.

Rorschach Hermann (1967). Psychodiagnostic, Paris, PUF, 412p.

Samba Denis (2004). Le vécu délirant à travers le Rorschach. Phénomènes structuraux et contexte culturel. Analyse phénoméno-structurale. Thèse d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines, Volume 1. Université de Lille III, 315p.       

Tsokini, Dieudonné (2017). Mutation sociale et post-conflit au Congo, Perspectives psychopathologique et clinique, Paris, L’Harmattan, 280p.

 

 

 

 

 

 



[1] Inventé par Hermann Rorschach en 1920, ce test de personnalité est l’une des épreuves projectives des plus utilisées à travers le monde aux fins de compréhension diagnostique dans le cadre de la psychologie clinique (étude des conduites) et de la psychopathologie (troubles de conduites). Ce test est composé de dix images insignifiantes (taches d’encre). La consigne requiert du sujet de mettre fin à l’insignifiance des images en essayant de dire ce à quoi ressemble chacune d’elles.

[2] Nom d’emprunt pour se conformer à la norme de confidentialité.

[3] Du point de vue psychologique, la parole et la conduite sont de puissants moyens d’expression vitale pour l’adolescent.

[4] Ce mot souvent prononcé avec zozotement par LOEMBA est d’emblée incompréhensible. Sa signification n’a pas été trouvée même avec l’aide tant des éducateurs spécialisés que des parents de l’adolescent. Lorsque la question lui était posée à ce sujet, aucune réponse n’a été produite, pas plus qu’un synonyme. Cela a constitué un écueil dans la prise du protocole.

[5] La « demande » au sens clinique du terme, puisque tout part de la demande que formule le sujet avant de procéder à une évaluation clinique, psychopathologique et thérapeutique.