Les pratiques d’enseignement à distance du français à l’université marocaine : entre considérations théoriques et réalités 

The practices of teaching French from Distance at The Moroccan universities: between theoretical considerations and realities

Mériem BELHADDIOUI

Professeur Assistant. Sciences de l'éducation, (ENS) Meknès-Université Moulay Ismail

belhaddioui.m@gmail.com

,

         DOI : https://doi.org/10.60481/revue-rise.N2.7

Résumé 

Dans le cadre de la transition urgente et nécessaire vers l’enseignement à distance suite à la propagation du corona virus, cet article propose une analyse de la perception des enseignants de langue française et de communication, à l’université Moulay Ismail- Meknès -Maroc, sur leurs pratiques d’enseignement à distance, leurs contraintes et leurs difficultés rencontrées ainsi que sur les remédiations proposées. Après une phase d’enquête sur terrain et la réalisation d’entretiens semi-directifs, les résultats ont montré que les pratiques mobilisées par les enseignants sont différenciées ainsi que les modalités d’organisation des formations et des supports. , nous pensons que l’efficacité recherchée de l’enseignement à distance pourrait être obtenue à deux conditions : une réorganisation institutionnelle, pédagogique et matérielle ; des dispositifs de formation à distance et une amélioration de l’accompagnement en formation continue des enseignants et étudiants. (le résumé doit également indiquer la méthodologie mise en œuvre et le principal résultat obtenu)   

Mots clés : Covid 19 ; université ; enseignement à distance ; pratiques enseignantes ; langue française.

Abstract

In the context of the urgent and necessary transition to distance education following the spread of the corona virus, this article offers an analysis of the perception of teachers of the French language and communication, at the University Moulay Ismail- Meknes - Morocco, on their distance learning practices, their constraints and their difficulties encountered as well as on the proposed remedies. After a phase of field investigation and the realization the semi-directive interviews, the results showed that the teaching practices mobilized are differentiated as well as the modalities of organization of training and support. We believe that the desired effectiveness of distance education could be obtained on two conditions: an institutional, pedagogical and material reorganization of distance education systems and improved ongoing training support for teachers and students.

Keywords: Covid-19; university; distance learning; teaching practices; French language.

 


 

1. Introduction 

L'enseignement d’une langue nécessite une réflexion approfondie et une architecture pédagogique et didactique afin de développer les connaissances et les compétences des apprenants. Cependant, avec les changements continus de la société dans laquelle nous vivons, l'éducation s'est modernisée au fil du temps et a engendré une nouvelle méthode d'enseignement différente de l'enseignement traditionnel à savoir l'intégration des nouvelles technologies dans l'enseignement du français, et ce, à l’université.

D’ailleurs, l'utilisation du numérique dans l'enseignement de la langue, notamment dans les universités, ne date pas d’hier. Cela fait plusieurs années que ce processus a été mis en marche à des cadences variables. Cependant, à cause de la propagation du corona virus au printemps de 2020 qui a exigé un confinement total dans tous les pays du monde, l’enseignement à distance a été une obligation pour maintenir la continuité de l’enseignement. 

À cet effet, que ce soit en présentiel ou à distance, la création de bons contenus nécessite des efforts du personnel enseignant pour assurer un enseignement de qualité. Or, l'enseignement à distance demande des efforts redoublés, car il s'agit d'une nouvelle expérience pour les enseignants et les apprenants. 

Dans ce sens, le présent travail s'intéresse à l'enseignement du français à distance à l’université au Maroc, et plus particulièrement, à l’université Moulay Ismail -Meknès. Cette recherche vise à répondre aux questions suivantes : Quelles sont les pratiques enseignantes à distance ? Quels sont les outils et les méthodes adoptés ? Quelles ont été les contraintes rencontrées ? Quelles remédiations les enseignants ont-ils proposées ? 

À cette fin, cette étude présentera deux points d’ancrage : le premier est une démarche qui permet d’articuler un cadre théorique multiréférencé, alliant l’enseignement à distance et les pratiques enseignantes, le tout dans une perspective d’enseignement-apprentissage des langues. Le deuxième point d’ancrage, est une étude qualitative réalisée, à partir des entretiens semi-directifs auprès de huit enseignants de langue française et de communication dans des établissements universitaires de l’Université Moulay Ismail-Meknès-Maroc. La recherche aboutira, à la fin, à des résultats analysés et discutés pour finir avec une conclusion et des perspectives.

            

2. Fondements théoriques

2.1 Enseignement à distance et pédagogies 

Quelle que soit la modalité d’enseignement, à distance ou en présentiel, l’enseignant conçoit son enseignement à la base de méthodes pédagogiques qui peuvent être diversifiées pour s’adapter au nouveau mode d’enseignement. En effet, l’intégration des TIC a influencé clairement la méthodologie de l’élaboration des contenus didactiques. Pour cela, plusieurs méthodes pédagogiques peuvent être mobilisées et appliquées conjointement. 

À titre d’exemple, l’enseignement des langues, via les TIC, privilégie l’apprentissage collaboratif. De ce fait, la pédagogie de projet, apparue dans les années 80, a pour principe d’apprendre par la pratique selon l’expression de John Dewey « learning by doing ». Elle est conçue comme une pratique pédagogique active qui se base sur la réalisation d’une production concrète. En effet, elle permet à l’apprenant de construire son propre apprentissage en réalisant ses propres expériences, en résolvant ses problèmes et en cherchant des solutions concrètes, ceci entraînera un apprentissage efficace et durable. Dewey (1947) fait remarquer : « On identifie la liberté au pouvoir de concevoir des projets, de les traduire en actes […]. Un authentique projet trouve toujours son point de départ, dans l’impulsion de l’élève […] Le projet suppose la vision d’un but ». (P. 497).

Quant au projet pédagogique, il est un outil et une activité pratique qui permettent à l’apprenant de se confronter à la réalité de la discipline et d’exploiter les ressources numériques dans un but éducatif correspondant à un ou plusieurs objectifs d’apprentissage. 

Enfin, la théorie constructiviste et socioconstructiviste sont des approches qui favorisent l’étayage et l’interaction entre les acteurs de l’enseignement apprentissage. D’ailleurs, il est important de granulariser le cours pour faciliter l’enseignement ainsi que l’apprentissage. Il s’agit de découper un objectif pédagogique en divers objectifs spécifiques afin de faciliter et de simplifier l’apprentissage. Cela permet ainsi d’éviter la surcharge cognitive et rendre l’assimilation des connaissances plus souple. 

2.2 Les pratiques de l’enseignement à distance et les rôles de l’enseignant

Les auteurs (Peraya et Peltier, 2020) précisent que le modèle d’ingénierie sur lequel se base l’enseignement à distance comprend deux aspects fondamentaux : la planification et la médiatisation. Il ne s’agit absolument pas d’une simple transposition des pratiques antérieures (Peltier, 2020), comme l’a souligné Perrenoud (1998) en disant :  

J’ai ainsi l’exemple de ces enseignants : – qui distribuent des PDF à leurs élèves de collège et leur demandent de les recopier sur leur cahier pour les mémoriser plus facilement; – qui s’enregistrent pendant quatre heures et qui diffusent sur les réseaux ce que précédemment ils animaient en amphi, sans savoir s’ils sont regardés et par qui; – qui, dans le secondaire, convoquent à heure fixe des élèves pour des visio-conférences synchrones de plus d’une heure et qui s’étonnent de ne mobiliser que le dixième de leur classe, tout en concluant [à] l’impossibilité d’enseigner à distance sans augmenter l’inégalité scolaire. (p. 4) 

Pour l’enseignant, penser ses pratiques professionnelles autrement, c’est ne plus planifier son enseignement autour d’étapes successives autour des activités de découverte, d’entraînement, d’approfondissement ou d’évaluation. Il s’agit pour lui de penser et agir selon une inversion de paradigme en se demandant s’il est possible pour les apprenants d’apprendre à distance : il est question de faire appel à de nouvelles pratiques qui leur permettent d’atteindre les objectifs que les enseignants se sont donnés en matière de connaissances et de compétences. C’est dans ce sens, que nous proposons les caractéristiques de l’enseignement à distance qui se résument comme suit : 

- L’accessibilité : l’enseignement à distance se distingue par sa flexibilité. Cette méthode rend l’apprentissage plus accessible au grand public en offrant des scénarios d’enseignement et d’apprentissage qui tiennent compte des restrictions propres à chaque apprenant. Elle est considérée par la souplesse tant dans l’espace que dans le temps. Le fait de proposer des formations à distance contribue grandement à briser les barrières spatio-temporelles ce qui est tout particulièrement pertinent dans les pays où la population est géographiquement dispersée.

- La contextualisation : l’enseignement à distance permet aux apprenants d’étudier dans leur environnement direct. Elle maintient également un contact immédiat et permanent avec les différentes composantes de l’environnement et favorise l’intégration des connaissances scientifiques et pratiques ainsi que leur transfert.

- Interaction et travail collaboratif : le processus d’apprentissage dépend principalement des interactions entre l’apprenant et le tuteur, ainsi que l’apprenant et ses pairs. Ces interactions peuvent également faire partie d’un environnement de travail collaboratif, qui repose sur un échange entre les apprenants tout au long d’une activité d’apprentissage, où chaque apprenant participe activement à la résolution conjointe de la tâche à accomplir. C’est dans ce sens que les cours proposant des interactions synchrones via un système de visioconférence ou de vidéoconférence, peuvent contribuer à satisfaire les besoins des apprenants d’être socialisés. Avec l’enseignement à distance, le rôle de l’enseignant doit être redéfini puisqu’il est en quelque sorte modernisé (Marchand, 2001, p.27). « Placer l’apprenant au centre de l’apprentissage, c’est supposer qu’il n’y est pas encore vraiment et que c’est plutôt l’enseignant qui joue jusqu’ici le premier rôle » (Audet, 2012, p.50). En effet, l’enseignant doit repenser son rôle et revoir sa façon d’enseigner au terme de ses fonctions d’accompagnement et d’animation pédagogique. 

Ensuite, le cours à distance n’est pas manipulé par l’enseignant au même degré qu’en présentiel. L’enseignant devient plus un accompagnateur des démarches d’apprentissage des apprenants qui ne sont pas présents en classe. Il doit, donc, encadrer ses pratiques par des dispositifs « pédagogiques basés sur des méthodes plus incitatives et interactives, soutenus par de nouveaux rôles des acteurs, enseignants et apprenants, et finalisés au développement des compétences humaines, sociales et professionnelles de ces acteurs » (Lebrun, 2011, p.139). 

Même si le mode d’enseignement diffère, le rôle de l’enseignant reste primordial dans la réussite des apprenants. Sauf qu’il doit développer de nouvelles habiletés d’autoformation et d’autogestion pour optimiser l’utilisation des technologies au profit de la pédagogie. (Marchand, 2001, p.31). C’est dans ce sens que les transformations des pratiques sont définies, pour leur part, par des ajustements, des adaptations et des changements (Coulomb et al, 2020, p.3, notamment en ce qui concerne le contexte de pandémie qui a eu comme effet de déstabiliser les routines préétablies par les enseignants.

Ainsi, les pratiques de l'enseignement à distance peuvent-elles varier en fonction des objectifs pédagogiques, des ressources disponibles et des besoins des apprenants. Il est à noter que leur efficacité dépend de plusieurs facteurs, notamment la conception pédagogique, la qualité du contenu, l'engagement des apprenants, le soutien technique et la communication efficace entre les enseignants et les apprenants.

3. Méthodologique de recherche

3.1. Éléments de problématique 

Les acteurs de l’enseignement, notamment les enseignants du supérieur, ont été donc bousculés par la pandémie mais ont dû réagir afin de réussir le pari de l’enseignement à distance et assurer la continuité pédagogique non seulement pendant le confinement, mais aussi après le confinement puisque les cours ne s’assuraient pas totalement en présentiel.

De même, les enseignants de l’université Moulay Ismail ont tenté également de s’adapter face à cette urgence pédagogique. Des questions émergent : Quels sont les pratiques, les méthodes et les outils qu’ils ont adoptés pour enseigner à distance ? Quelles ont été les contraintes qu’ils ont rencontrées ? Quelles remédiations ont-ils proposées ? 

Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête de terrain qui porte sur les pratiques des enseignants en classe de langue dans les établissements de l’université Moulay Ismail à Meknès, et ce en période de confinement. À cette fin, nous avons préparé une grille de questions pour réaliser des entretiens semi directifs destinés à huit enseignants de langue française et de communication aux caractéristiques sociodémographiques variées au niveau du sexe, âge, années d’expériences, filières et niveaux pris en charge, ainsi que les modules assurés).

3.2. Méthodologie de traitement et d’analyse des données 

Après la collecte des données nécessaires, nous avons choisi la méthode de l’analyse de contenu conçue par Laurence Bardin (2013) pour traiter les réponses des huit enseignants. Selon cette auteure, l’analyse de contenu apparait comme un « ensemble de techniques d’analyse des communications utilisant des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages, à obtenir des indicateurs quantitatifs et/ou qualitatifs permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de production (et de réception) de ces messages. » (Bardin, 2003, p.207). 

D’ailleurs, l’analyse thématique est l’une des types d’analyse de cette méthode. Elle est définie comme étant « une opération de classification d’éléments constitutifs d’un ensemble par différenciation puis regroupement par genre d’après des critères préalablement définis » (Ibid, p.209). Autrement dit, elle consiste à découper l’entretien, classifier et dénombrer par fréquence la présence d’items de sens présents selon des catégories à partir de l’analyse des réponses des enseignants. 

Nous présentons les items ressortis de la transcription des entretiens réalisés auprès de huit enseignants comme suit : 

 

Figure 1  : Les items ressortis de la transcription des entretiens semi-directifs 

4. Résultats

4.1. Le vécu expérientiel de l’enseignement à distance 

L’expérience de l’enseignement à distance est considérée enrichissante du point de vue de l’enseignant (E2). Il énonce : « l’usage de la plateforme m’a permis de prendre davantage conscience de la dimension pédagogique des contenus que je mets à la disposition de mes étudiants ». En effet, l’enseignement à distance a modifié la pratique de l’enseignant dans la mesure où la compétence réflexive est devenue plus fondamentale et développée. Il est obligé de se mettre à la place de l’étudiant au moment de la conception du cours pour faciliter l’apprentissage puisque l’étudiant est absent. D’ailleurs, la plateforme a permis d’intégrer facilement des supports autres que ceux écrits, et de repenser la manière de concevoir un cours à distance. L’enseignante 4 commente : 

Au fil de l’eau, nous avons appris que nous devons planifier stratégiquement nos cours et utiliser des vidéos et des audios pour alimenter nos cours et faire économie des informations inutiles et rigides que l’on peut améliorer et transmettre de manière attractive.  

Elle ajoute que l’enseignement à travers la plateforme offre la possibilité d’avoir des retours puisqu’elle intègre des outils pour écouter les étudiants.  Dans le même sens, l’enseignante (E6) considère que l’expérience est louable puisqu’elle constitue un plus pour le maintien de contact avec les étudiants. Elle commente : « la plus-value c’est de pouvoir interagir dans cette intersection entre la technique et le culturel et pouvoir attirer la curiosité de l’étudiant ». Il ajoute que l’enseignement à distance a modifié sa façon d’enseigner à savoir sa relation avec ses étudiants ainsi que son choix des contenus.

Or, l’enseignement à travers la plateforme oblige les enseignants à rédiger les cours et à donner des explications et des exercices comme le signale l’enseignante 7) : « avant, l’enseignant se contente de parler, maintenant il rédige. Ça facilite, on ne peut pas oublier des paragraphes ». Elle ajoute que la correction des exercices est plus objective et facile dans ce mode d’enseignement. En revanche, elle affirme qu’il est vrai que l’enseignement à distance a développé le côté professionnel, à savoir les pratiques enseignantes à l’ère du numérique, mais le côté relationnel généré par le présentiel a pris coup comme le confirme l’enseignante (E6) en déclarant : « Rien ne peut remplacer le présentiel en termes d’enseignement. »

Dans le même sens, l’enseignant (E1) qualifie l’expérience du passage du présentiel au distanciel d’« ennuyeuse et mauvaise » puisque la présence physique est absente. Il commente : « Mon cours, je le manipule en fonction des émotions. ». En effet, c’est ce contact entre étudiants et enseignant qui aide ce dernier, dans la construction de son cours, il l’adapte selon les réactions des étudiants, ce qui ne peut pas le faire en mode distanciel. Meirieu (2020)[1] fait remarquer à ce sujet que : 

La classe n’est pas une juxtaposition d’élèves à qui l’on fournit des travaux individuels, c’est un espace symbolique de construction du collectif et de l’apprentissage du « faire société ». On y arrive avec ses singularités et l’on y accède à des savoirs communs en découvrant les règles qui permettent de travailler ensemble et de s’enrichir les uns des autres.

L’enseignant 1 ajoute également que le cours à distance ne lui permet pas une aisance dans la conception du cours : « ce mode ne permet pas cette intimité du cours, tout le monde a accès à ce cours. Je ne peux pas parler à l’aise ni spontanément. » De plus, l’enseignement à travers la plateforme ne garantit pas que les cours sont adaptés au niveau des étudiants. Il signale : « C’est en présentiel que l’enseignant peut savoir les besoins des étudiants ainsi savoir comment présenter le cours et l’adapter ». Il souligne également le grand effort fourni pour préparer les cours à distance : 

C’est une expérience épuisante, je préfère 100 cours normaux et ne pas écrire un seul. Un seul cours à distance me prenait quatre jours pour le préparer, puisque je dois me mettre à la place de l’étudiant pour simplifier, donner des exemples et ouvrir beaucoup de parenthèses au sein du cours écrit.

De ce fait, l’enseignement à distance a modifié la manière de concevoir les cours, comme l’a signalé l’enseignante (E5) : « il faut transformer des cours interactifs à des cours théoriques ». Elle ajoute ainsi qu’elle a dû réfléchir comment installer un savoir-faire au niveau de la langue à distance qui nécessite de l’interaction et de la pratique. L’enseignante (E5) qualifie le passage du cours en présentiel au cours distanciel par le changement radical. Elle commente : « je me sentais comme un poisson hors eau. Je ne suis pas habituée au cours magistral sec, mais je me trouve dans un cours en présentiel plein de vie ». 

De plus, les étudiants ont besoin d’outils linguistiques de base à savoir la conjugaison, l’orthographe surtout pour les filières dont la langue française est secondaire, loin de leur spécialité. Ce qui rend l’enseignement plus difficile quand on parle de la conception des cours à distance sans la présence des étudiants. 

Malgré tous ces embarras, l’enseignante qualifie que l’expérience de l’enseignement à distance était enrichissante puisqu’elle considère que ce passage du cours présentiel à celui à distance est une forme d’apprentissage. Elle déclare : « il [l’enseignement à distance] a permis de développer la façon de faire un cours magistral, de s’asseoir et de parler », cela exige de grands efforts de scénarisation et de conception des cours en version numérique.

En outre, l’enseignante 8 estime que l’enseignement à distance est une expérience utile parce qu’elle lui a permis de développer de nouvelles compétences nécessaires qui se rapportent au monde du numérique. Elle déclare : « ça m’a permis en quelque sorte de rénover : c’était au départ une revisite forcée de mes façons habituelles ensuite on y prend goût et ça devient une occasion d’utiliser d’autres ressources, vidéo, audio et d’autres outils. ».

4.2 Le choix des activités et des supports 

En majorité, les huit enseignants interviewés ont adopté principalement les cours écrits sous forme de fichiers PDF, Word ou bien Power Point et des activités sous forme d’exercices académiques. Trois enseignants sur huit, ont utilisé seulement les documents écrits. L’enseignant (E2) affirme qu’il a transmis ses cours sous forme de PDF mais sans aucune interaction.

En revanche, l’apprentissage du français demande un accompagnement. Le texte est peu privilégié, les étudiants préfèrent les vidéos pour voir l’enseignant parler sauf que les vidéos n’étaient pas à sa portée parce qu’il n’y avait pas de studio à la faculté. L’enseignant (E1) ajoute : « j’ai proposé des cours écrits, des PDF des TD et des TD corrigés. Les vidéos facilitent, mais ni l’écrit ni l’oral ne permettent de développer les compétences d’analyse, de critique et d’interprétation dans le cadre de la langue française ».  

D’ailleurs, les enseignants (6 et 8) ont utilisé, en plus des cours écrits, des vidéos et des exercices interactifs, l’audio est aussi utilisé par l’enseignant (E8). L’enseignante (4) a utilisé des formats en JPG (des images) surtout pour les modules de l’art. Les exercices ont été sous forme d’illustrations, l’enseignant a animé aussi des visioconférences. 

Pour l’enseignante 5 (5), les cours ont été sous forme de vidéos, elle les filmait au studio de la faculté des sciences économiques et juridiques. Elle ajoute qu’elle était contre les supports audio que certains enseignants adoptaient. L’audiovisuel est plus privilégié puisqu’il y a du verbal et du paraverbal, cela motive pour suivre le cours. Par contre, le support audio demande un public plus mature et autonome tel celui du doctorat par exemple. 

4.3. Les difficultés et les contraintes rencontrées par les enseignants  

Les contraintes rencontrées par les enseignants sont signalées en premier lieu au niveau pédagogique : il s’agit de l’absence de l’interaction entre enseignant et étudiants comme le signale chacun des enseignants (E1, E2, E3, E4, E5 et E7).

En revanche, l’enseignant (E3) déclare qu’il n’a pas apprécié le fait d’obliger les enseignants de passer par la plateforme, il ajoute « qu’il fallait laisser aux enseignants la liberté de communiquer et d’interagir directement avec les étudiants ». En effet, le manque d’interaction impacte directement la qualité de l’enseignement puisqu’il est considéré l’un des piliers de l’enseignement. 

En deuxième lieu, apparaissent les contraintes rencontrées au niveau didactique à savoir la difficulté de choisir le support adapté aux niveaux et aux besoins des étudiants. L’enseignant n’est pas sûr que les étudiants aient bien compris et maîtrisé le support proposé. De plus, la difficulté de concevoir un cours sans la présence de l’étudiant est aussi gênante, car il consiste à rédiger un cours, presque parfait, qui anticipe les difficultés que l’étudiant peut rencontrer. Dans ce sens, l’enseignante 5 déclare : « À distance, je ne peux pas vérifier ou évaluer l’impact du cours ou bien encore la compréhension du support ».

En troisième lieu, les enseignants interviewés citent les contraintes d’ordre matériel ou logistique. En effet, la connexion est médiocre au sein des établissements. Les enseignants donc, se démotivent même pour mettre en ligne les cours. D’ailleurs, même la plateforme ne fonctionnait pas tout le temps, les enseignants n’arrivaient pas à poster les cours sur la plateforme parce qu’elle se bloquait régulièrement. 

Ainsi, le manque de matériel concerne-t-il les étudiants qui ne possèdent pas tous, des ordinateurs et une connexion pour pouvoir accéder aux cours déposés. Il y a certains étudiants qui n’arrivent même pas à manipuler un ordinateur. Cette idée est marquée par ce qu’énonce Meirieu (2020)[2] : « Dans le domaine pédagogique, comme dans bien d’autres, la crise du coronavirus a agi comme un révélateur des inégalités : il faudra s’en souvenir ».

En quatrième lieu, l’effectif des étudiants pose un grand problème surtout au niveau des facultés, ce qui ne permet pas un suivi des étudiants pour s’assurer s’ils ont compris et corrigé les exercices. De ce fait, le résultat est le suivant « l’enseignement s’est réduit à des cours que les étudiants reçoivent sur leur compte académique de la plateforme et dont il est impossible de vérifier s’ils les lisent ou pas », déclare l’enseignant 3 

En cinquième lieu, nous citons les comportements qui freinent la continuité de ce nouveau mode d’apprentissage à savoir leur désintérêt par leur manque d’engagement envers les cours. Et c’est encore pire pour les nouveaux étudiants, qui sont, non seulement non engagés, mais n’arrivent pas à apprendre en autonomie car ils sont encore dépendants de leurs enseignants.

En dernier lieu, la langue demeure un handicap pour les étudiants. Les enseignants estiment que ces derniers ont un niveau bas de langue surtout ceux qui sont de spécialité autre que le français. Sans oublier aussi les contraintes d’ordre psychologique qui génèrent un malaise à cause de la crise sanitaire et affectent directement la qualité de l’enseignement-apprentissage.

4.4 Les remédiations proposées

L’enseignant 1 estime que la remédiation peut être juste au niveau technique en utilisant plus d’outils qui permettent plus ou moins plus d’interactions.

Il est nécessaire également de fournir aux étudiants le matériel nécessaire pour qu’ils puissent tous accéder aux ressources pédagogiques. Dans ce sens, l’enseignante 4 propose dans ses propos de « donner aux étudiants des tablettes ainsi que des forfaits internet avec connexion ».

L’enseignante 5 propose à son tour, de fournir une salle équipée avec des moyens logistiques très développés ; ainsi que des caméras pour voir les étudiants à condition que leur nombre doit être restreint.

Ensuite, il faut un suivi dans la mesure où l’accès à la plateforme est assuré par des spécialistes pour résoudre les problèmes d’ordre techniques proposant par exemple d’allumer la caméra et le micro à l’improviste pour vérifier la présence des étudiants, comme le souligne l’enseignante 4 dans ses propos : « Ceci permet une visibilité, par rapport à l’engagement des étudiants ».  

D’ailleurs, l’enseignante 7 propose des tuteurs pour aider les enseignants dans l’accompagnement des étudiants. Elle ajoute aussi, qu’il faut travailler en petits groupes. L’enseignante s’attarde également sur l’importance d’avoir des partenariats, avec des centres de langue à titre d’exemple, ce qui permet un partage d’expériences et depuis, une amélioration des pratiques enseignantes. De plus, elle insiste que la formation continue pour les enseignants et les étudiants, est désormais nécessaire pour garantir un bon enseignement- apprentissage à distance.

L’enseignante 8 déclare, par la suite, qu’il faut une bonne scénarisation avec une adaptation des supports à ce type d’apprentissage. Elle propose ainsi de concevoir tout un campus virtuel qui facilite l’accès aux ressources pédagogiques.

Enfin, l’enseignant 3 fait remarquer que : « si l’on veut vraiment passer de l’enseignement traditionnel à l’enseignement à distance, il faudra d’abord une volonté politique de le faire, et une modernisation globale du pays (administration, économie, société…) ». Donc, pour un enseignement à distance efficient « il faut revoir, peut-être, tout un système », déclare l’enseignante (E8).

5. Discussion

L’adoption des TIC dans l’enseignement des langues vivantes à l’université occupe une grande place dans le système pédagogique. En effet, la maîtrise des langues est une compétence essentielle pour chaque étudiant dans la poursuite de son parcours de formation et l’intégration du marché du travail. En effet, l'utilisation efficace des plateformes ou d'autres outils techniques nécessite que les enseignants possèdent une culture et des connaissances du monde numérique. Cependant, le besoin des formations continues ou d'autoformation se fait jour et peut même être considéré comme une urgence. C'est une question qui peut entretenir les nouveaux modèles d'enseignement actuels et futurs, notamment la nouvelle génération 3.0 qui a vu le jour au sein d’un environnement technologique. 

S’agissant de cette étude, les enseignants ont eu du mal à s'adapter à l'enseignement à distance via la plateforme UMI. Son utilisation a abouti à son premier degré : il s’agit d’un dépositaire de cours. En revanche, certains enseignants utilisent les réseaux sociaux mais rarement les plateformes de visioconférence.

Si la plateforme est l'outil principal de l'enseignement à distance en confinement, alors l'après confinement est plutôt un complément à l'enseignement présentiel, car la reprise des cours s’est faite selon un mode mixte à savoir un enseignement hybride (Desrosiers, 2013). De plus, les supports stockés sur la plateforme UMI sont généralement des supports écrits sans aucune interaction ; ce qui n'est pas privilégié dans l'enseignement du français. 

En effet, l’enseignement à distance généralement et l’enseignement à travers la plateforme spécifiquement, n’ont pas permis de combler l’absence physique de l’enseignant et par làl’interaction. Cette dernière est considérée comme l'un des piliers de l'apprentissage et de l'enseignement du français. En fait, c'est par l’interaction que le cours et l’apprentissage se construisent. De plus, qu'elle soit verbale ou non verbale, voire para verbale, elle permet à l'enseignant de manipuler son cours. C’est à la base des feedbacks des étudiants que l’enseignant puisse adapter son cours et réagir face aux difficultés que rencontrent les étudiants. Dans le même sens de réflexion, « l’engagement de l’étudiant dans un cours en FAD est lié au sentiment d’appartenance au cours/programme — d’où les différentes modalités de la FAD permettant de développer un sentiment d’appartenance, d’interactions et de communauté d’apprentissage. » (Capres, 2019, p. 9).

En outre, l'enseignement de la langue a besoin du soutien des enseignants pour expliquer et outiller les étudiants, car l'apprentissage des langues requiert un sens de l'analyse et de l’interprétation. Or, ces supports écrits ne permettent pas aux étudiants de développer ces compétences. D'autre part, certains enseignants essaient également de proposer des cours audiovisuels, des capsules vidéo et même des exercices interactifs pour aider les étudiants à apprendre et à développer leur sens de l'autonomie. (Freund, 2016 ; Landry et al., 2005 ; Melançon et al., 2013).

Dans l’absence de ces éléments, l’enseignant, a redoublé l’effort pour concevoir un cours raisonnablement structuré, simple et à la portée des étudiants. En fait, c'est un défi de transformer un cours pratique interactif en un cours sans interaction. Cette transition est considérée comme une expérience d'apprentissage pour les enseignants, car ils ont préparé des cours bien structurés pouvant constituer une base de données que tout étudiant de la plateforme peut utiliser.

En plus de la transformation des cours interactifs en cours à distance, les enseignants ont rencontré des difficultés et des problèmes logistiques car le matériel et la connexion n’étaient pas accessibles. (Alladatin et al, 2020). Ajoutons à cela, les comportements des étudiants qui constituent aussi un frein dans la mesure où ils ne s’engagent pas dans leur apprentissage et expriment ainsi leur désintérêt face aux efforts fournis par l’enseignant. 

Face à ces problèmes, des remédiations sont proposées, tout d’abord, un remède technique : fournir aux enseignants et aux étudiants le matériel nécessaire pour leur permettre d'enseigner et d'apprendre à distance. Ensuite, afin de pallier l'absence physique, il est important d'assurer un suivi auprès des étudiants et de les accompagner par des visioconférences par exemple. Enfin, la formation continue est l'une des mesures assez importantes à concevoir pour que l'enseignement à distance se réalise dans des conditions adéquates.

6. Conclusion et perspectives

La transition forcée de l’enseignement en présentiel vers l’enseignement à distance, suite à la Covid 19, a poussé les enseignants à s’adapter à cette situation et à leur donner l’opportunité de réfléchir sur la place des TIC en classe de langue à l’université. En effet, les enseignants de Français et de communication ont essayé de transformer leurs cours interactifs à des cours plutôt magistraux en les simplifiant davantage de façon à ce que les étudiants puissent apprendre en autonomie. 

Toutefois, on note un manque de communication des informations nécessaires autour de ces pratiques ainsi qu’un déficit de formation et d’accompagnement des enseignants et des étudiants pour une bonne maîtrise des outils requis dans le cadre des cours en ligne.

Il serait intéressant d’une part, de penser à améliorer significativement la plateforme de cours en ligne, d’autre part d’instaurer un dispositif d’enseignement hybride en prenant en compte les besoins en ressources humaines et la formation des enseignants et des étudiants. Mais encore, d’élaborer un plan de continuité pédagogique, à partir duquel on fait appel à l’investissement des universités pour soutenir les enseignants et les étudiants dans la perspective de développer leur savoir-enseigner et leur savoir-apprendre en contexte d’enseignement et de formation à distance. 

Références bibliographiques 

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 béninoises en contexte de pandémie de COVID-19 : les points de vue des
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Altet, M. Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : l’analyse
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[1] Meirieu,P. (2020) « L’école à distance n’est pas l’école ». Educ’France. [En ligne]. Consulté le 23 mai 2022, à l’adresse https://www.lunion.fr/id150833/article/2020-05-16/philippe-meirieu-lecole-distance-nest-pas-lecole

 

[2] https://www.lunion.fr/id150833/article/2020-05-16/philippe-meirieu-lecole-distance-nest-pas-lecole