La gouvernance de l’école au Cameroun, analyse critique des processus de "changements" : les enjeux des choix des paradigmes pédagogiques pour une éducation de qualité

School governance in Cameroon, critical analysis of ‘changes’ processes: the stakes of pedagogical paradigms choice for quality education

NDJOH NKOUTE Jules Yvon, 

Ph. D,  Chercheur, Faculté des Sciences de l’Education (FSE), Université de Yaoundé1. 

E-mail : yvonnkoute@yahoo.fr

         DOI : https://doi.org/10.60481/revue-rise.N2.4

Résumé                                                                                                                           

Le présent article a pour objectif de présenter la récente procédure de changements paradigmatiques survenus en contexte camerounais (Passage de la Pédagogie Par Objectif (PPO) à l’Approche Par les compétences (APC) en cours depuis 2012, puis de déterminer les faiblesses de cette initiative en rapport avec le 4e Objectif de Développement Durable (ODD) clairement consacré à une éducation de qualité. En fin de compte, il vise à évoquer la nécessité d’adopter une démarche normative pouvant encadrer une telle entreprise stratégique, tant il est remarquable qu’elle ait du mal à faire ses preuves après dix années de balbutiements. Ce constat découle d’un travail d’observations à la fois participantes et non participantes, complété par des enquêtes de terrain via des entretiens semi-directifs et des questionnaires. A terme, cet article permet de réaliser que le changement dans le secteur éducatif ne peut se faire avec succès si les pouvoirs publics l’engagent unilatéralement.

Mots clés : Gouvernance, paradigme, pédagogie, éducation, didactique.

Abstract: The aim of this article is to present the process of paradigmatic change that has taken place in Cameroon (Moving from Goal-Based Pedagogy (PPO) to Competency-Based Approach (APC)) since 2012, and then to identify the weaknesses of this initiative in relation to the 4th Sustainable Development Goal (SDG) clearly dedicated to quality education. This article also discusses the need for a normative approach to such a strategic undertaking, given its remarkable difficulty in proving itself after ten years of inception. This observation is the result of both participant and non-participant observations, combined with field surveys based on semi-structured interviews and questionnaires. Ultimately, this article leads to the conclusion that change in the education sector cannot be achieved successfully if the public authorities initiate it unilaterally.

Keywords: Governance, paradigm, pedagogy, education, didactics.


 

1. Introduction

De manière générale, les pays africains ont engagé une vaste réforme curriculaire (Cros et Al, 2010) sous l’impulsion des bailleurs de fonds, par l’entremise de la CONFEMEN (Nkoumou, 2015). Au Cameroun, c’est depuis 2012, et sur ordre de l’autorité gouvernante, que l’on assiste à un ensemble de changements paradigmatiques (passage de la pédagogie par objectif (PPO) à l’approche par les compétences (APC) dans la perspective de l’amélioration de la qualité de l’éducation. En effet, il peut aller de soi que dans un système éducatif, des paradigmes pédagogiques et didactiques soient obsolètes. Mais, pour en arriver à ce niveau, des acteurs importants et essentiels (l’occurrence, les experts des questions d’éducation en général) doivent entériner ce constat technique qui est soumis à la très haute attention des pouvoirs politiques. Le cas du Cameroun laisse planer un doute important sur cette démarche (Nkoumou, 2015) dans la mesure où la décision d’adoption du nouveau paradigme est une imposition (Daouaga, 2018) et une surprise pour les acteurs clés et essentiels du domaine éducatif au Cameroun. Ainsi, dans un cadre corrélationnel de gouvernance de l’éducation et des modèles pédagogiques, l’objectif poursuivi dans cet article est de questionner le cas camerounais au sujet du changement spécifique en cours de mise en place depuis 2012 (MINESEC, 2014a ; 2014b). 

Par ailleurs, dans un cadre évolutionniste, il est aussi question d’étendre la réflexion en s’appuyant sur la littérature existante sur la question, afin de ressortir les atouts des changements opérés et les nombreuses failles qui se présentent lorsqu’on jette un regard profond sur cette situation. Toutefois, à terme, il est question de répondre à la question de savoir « quelle est l’efficacité de la manœuvre de changement paradigmatique en éducation au Cameroun depuis 2012, et quelle rentabilité en rapport avec 4e ODD de l’ONU à l’horizon 2030 ? ». L’apparition de ce questionnement se situe dans une perspective d’orienter la réflexion sur les mobiles des changements de paradigme dans l’environnement éducatif en général et camerounais en particulier, et le processus de mise en place dudit changement (Ndjoh, 2021 ; Nkoumou, 2015). En fin de compte, il est question de mener une analyse de la situation antérieure appuyée par une réflexion en termes de perspectives à envisager pour parvenir à des changements ordonnés, coordonnés et bien planifiés. Cette démarche qui est gage de prise de décisions productives est prédisposée à offrir une éducation de qualité, en même temps capable de répondre efficacement aux exigences du 4e ODD de l’ONU consacré à l’éducation (ONU, 2020). La poursuite de ces objectifs est guidée par un questionnement important destiné à savoir quels sont les acteurs de cette initiative ? De quelle crédibilité scientifique bénéficient-ils ? Quelle démarche procédurale a conduit à la décision de changement ? Ou encore, ce changement est-il conforme aux objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU à l’horizon 2030 ? 

Au regard de ce qui précède, cette étude repose sur un cadre théorique socioconstructiviste et elle postule comme hypothèse que, « la réalisation d’une mutation paradigmatique réussie est conditionnée par la mise en place d’un processus de changement assez clairement élaboré et planifié, impliquant un personnel de qualité ». Ce sujet consolide ses fondements à travers des travaux antérieurs. Ces derniers peuvent être repartis par centres d’intérêt. Ainsi, d’un côté nous pouvons retrouver ceux qui examinent le cas du Cameroun en matière d’éducation (Ndagang, 2019 ; Mbom, Daouaga, 2018 ; Nkoumou, 2015 ; Ndjoh, 2015, 2021). D’un autre côté, mentionnons aussi ceux qui s’intéressent au cas spécifique des mécanismes de changement dans les systèmes éducatifs (Lafortune, Etayebi, et Jonnaert, 2007 ; Behrens, 2007 ; Bouhon, 2008 ; Maroy, 2006 ; Paquay, 2007) et qui permettent de mieux situer l’analyse de la procédure de changement en contexte camerounais. 

2. Méthodologie

2.1 Type de recherche, échantillon et échantillonnage

Cet article repose sur une approche mixte intégrant à la fois les volets quantitatif et qualitatif. Le choix de cette approche se justifie par la nature de l’hypothèse à vérifier et de la question de recherche formulée d’une part, et d’autre part, par la qualité des données recueillies via le questionnaire et les entretiens semi-directifs. La première opération est quantifiable, tandis que la seconde ne l’est pas. De ce fait, cet article questionne la conformité et l’efficacité du changement paradigmatique opéré par les autorités administratives dans le système éducatif camerounais depuis 2012 en passant de la Pédagogie par objectif (PPO) à l’Approche par les Compétences (APC). La population cible est constituée des enseignants exerçant dans les établissements d’enseignement secondaire du Cameroun. De ce fait, l’inclusion ou l’exclusion des uns et des autres se justifie à travers la technique d’échantillonnage la plus appropriée qui s’est avérée être l’échantillonnage par convenance, encore considéré comme échantillonnage du bon sens justifié par le fait que ces derniers sont non seulement les professionnels en la matière, mais aussi les acteurs directs mieux placés pour apprécier à la fois la procédure de changement et la qualité du changement en question. Cet échantillon a l’avantage d’être moins coûteux, rapide et facile à utiliser.  Les données recueillies ici le sont par le canal d’entretiens semi-directifs auprès des enseignants exerçant dans trois lycées du Cameroun (Lycée Général LECLERC, Lycée de NKOLBISSON et le Lycée bilingue de DEIDO), qui figurent parmi les grands établissements du Cameroun. La population cible étant assez large, parce que tous les enseignants du secondaire pouvaient s’exprimer à ce sujet, la technique susmentionnée nous a permis de faire appel aux enseignants des établissements plus accessibles déjà cités plus haut. De même, les entretiens semi-directifs ne nous ont pas semblé suffisants. Le remplissage des questionnaires est aussi un autre moyen de collecte des données utilisé. Au total, nous avons recouru à un échantillon de 39 enseignants répartis selon les tableaux ci-après :  

Tableau1 : Répartition de l’échantillon des enseignants interviewés 

No

Etablissements scolaires

Nombre d’enseignants

Total

Hommes

Femmes

1

Lycée Général LECLERC

03

05

08

2

Lycée de NKOLBISSON

4

01

05

3

Lycée Bilingue de DEIDO

4

03

07

Total

11

09

20

Tableau 2 : Répartition de l’échantillon des enseignants répondant aux questionnaires

No

Etablissements scolaires

Nombre d’enseignants

Total

Hommes

Femmes

1

Lycée Général LECLERC

03

06

09

2

Lycée de NKOLBISSON

04

01

05

3

Lycée Bilingue de DEIDO

02

03

05

Total

09

10

19

Par ailleurs, Nous avons aussi fait recours à la fois aux observations participantes et non participantes des manœuvres     administratives orchestrées pour le changement. En tant qu’enseignant du secondaire, nous avons été en 2012 acteur et témoin vivant et actif du changement opéré par les autorités administratives camerounaises ; ce qui nous permet de porter un témoignage crédible à ce sujet au même titre que les autres enseignants du secondaire camerounais (Mbom, 2016). 

2.2 Corpus des données et méthode d’analyse des résultats

Afin d’obtenir des résultats probants pour cet article, nous avons consulté des enseignants, qui constituent échantillon principal à même de nous fournir des informations fiables sur le sujet évoqué. En effet, il était question de négocier des rendez-vous individuels et collectifs avec ces derniers afin de leur administrer notre protocole d’interview qui était ouvert tout comme un questionnaire permettant de donner des avis de façon orientée. Le questionnaire comportait quelques questions « fermées » auxquelles les enseignants devaient répondre par "OUI" ou par "NON" d’où le caractère même semi-directif des entretiens et la nature mixte de l’étude qui permet dès lors d’avoir à la fois des données qualitatives et des données quantifiables.

A l’issue de cet exercice de collecte des données, nous avons mis en place un mécanisme d’exploitation de ces dernières.   Les données quantifiables, elles été obtenues  à partir des questionnaires. Leur exploitation a permis l’obtention des statistiques sur des points précis notamment, la fiabilité de la procédure de changement, l’implication des enseignants dans la prise de décision de changement et l’efficacité de la formation continue engagée à l’endroit des enseignants. Avec ces données, nous avons inséré en fin de questionnaire, une prise d’avis auprès des enseignants visant à vérifier l’hypothèse de recherche qui stipule que « la réalisation d’un changement paradigmatique réussi est conditionnée par la mise en place d’un processus de changement assez clairement élaboré et planifié, impliquant un personnel de qualité sur la question ». Cette vérification s’est faite à travers la question suivante : « un changement paradigmatique subite orchestré et piloté par les autorités administratives (sans l’avis de qui que ce soit) peut-il déboucher sur des résultats satisfaisants pour la communauté éducative ?». Grâce à cette question fermée, nous avons pu vérifier l’hypothèse et obtenir des résultats. Par ailleurs, les données issues des entretiens ont été transcrites, classées par centres d’intérêt pour être exploitées dans la présentation des résultats et pour clarifier certains points dans la discussion.  

3. Présentation et analyse des résultats

3.1. Etat des lieux des pratiques pédagogiques en contexte de réforme des curricula 

Les résultats sont diversifiés en raison du fait que chacune des hypothèses a une visée précise dans cet article. Certains sont destinés à l’analyse tandis que d’autres ont pour objectif la vérification de l’hypothèse émise au départ. Ici, nous allons nous consacrer en prime à la présentation et à l’analyse des résultats liés à la vérification de l’hypothèse. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la vérification de l’hypothèse est encadrée par une prise d’avis sur un questionnement précis qui stipule que : « un changement paradigmatique subite orchestré et piloté par les autorités administratives (sans l’avis de qui que ce soit) peut-il déboucher sur des résultats satisfaisants pour la communauté éducative ?». Selon ledit questionnaire, les 19 enseignants devraient répondre par "OUI" ou par "NON" à chacune des questions orientées par centres d’intérêt. Les réponses recueillies ont permis de quantifier cela de façon basique et de tirer des données statistiques exploitables pour la prise de décision. Plus concrètement, on a dénombré 18 enseignants sur 19 qui ont répondu "NON". Statistiquement parlant, ce ratio permet d’obtenir un pourcentage de réponses négatives de 94.73%. Selon le principe de la méthode, une réponse positive aurait infirmé l’hypothèse, tandis qu’une réponse négative l’aurait confirmé. En clair, l’hypothèse de recherche est confirmée. En termes de résultats à données statistiques exploitables, l’autre partie qui nous a servi dans l’analyse, présente les résultats selon le tableau dans la partie suivante.

3.2. Avis des enseignants sur les enjeux des choix des paradigmes pédagogiques

Tableau 3 : Données statistiques recueillies auprès des enseignants pour évaluer les enjeux du changement

No

Volets du changement

Réponses par OUI

Réponses par NON

% des OUI

% des NON

1

Fiabilité du processus de changement

02

18

10%

90%

2

Efficacité de la méthode adoptée

01

19

05%

95%

3

Implication des enseignants dans la prise de décision

01

19

05%

95%

4

Bonne formation continue auprès des enseignants

2

18

10%

90%

Synthèse des réponses

06

74

07,5%

92,5%

Le tableau ci-dessus permet d’avoir un regard assez élargi et panoramique sur les données recueillies et qui ont été quantifiées. Elles touchent des points précis et permettent une synthèse générale sur la tendance des réponses obtenues. Leur utilité sera plus perceptible dans l’analyse dans la partie consacrée à la discussion. Toutefois, il convient de noter que, au-delà de la vérification de l’hypothèse, ces données permettent également de réaliser une analyse parallèle de ce que reflète le résultat de la vérification de l’hypothèse. De façon globale, ces données présentent une même tendance « négative » au regard des réponses obtenues. Par ailleurs, il est important de mentionner le rôle des données qualitatives recensées. Elles ont servi à consolider les analyses présentées à la fois dans la partie introductive de cet article, mais surtout dans la partie consacrée à la discussion et aux conclusions tirées à la fin de cette étude.

4. Discussion

Après l’obtention des résultats ci-dessus, il est important de les justifier dans cette partie consacrée à la discussion. Cette section traite de la justification des résultats liés à la vérification de l’hypothèse à travers les données statistiques précédemment présentées. De même, il est aussi nécessaire d’apporter des éclaircissements sur la procédure et les méthodes de changement adoptées en contexte camerounais. 

4.1 Au sujet de l’inclusion des acteurs de la chaîne éducative dans la décision de changement

Après vérification de l’hypothèse émise, il en ressort des résultats qu’elle est confirmée. Plusieurs éléments peuvent justifier sa confirmation. A la question de savoir si « un changement paradigmatique subite orchestré et piloté par les autorités administratives (sans l’avis de qui que ce soit) peut-il déboucher sur des résultats satisfaisants pour la communauté éducative ? », les données statistiques recueillies révèlent que 94,73% des enseignants consultés répondent négativement à la question posée qui en fait est opposée à l’hypothèse. Les données qualitatives recueillies permettent de trouver certains éléments de réponse. Notamment, il en ressort de prime abord que, la réponse des enseignants est négative à cause de la primauté de la décision gouvernementale. Les enseignants soutiennent à ce sujet que l’autorité administrative ne dispose pas d’une capacité technique et professionnelle suffisante à même de lui permettre de décréter unilatéralement le changement dans un secteur aussi sensible que l’éducation. 

Pour le cas du Cameroun, même si de façon générale, la communauté éducative soulevait déjà des insuffisances au sujet de l’obsolescence des programmes d’enseignement, et que le paradigme pédagogique de lors présentait déjà des limites importantes (Ndjoh, 2015), cela n’est pas suffisant pour justifier la décision solitaire du gouvernement. De ce fait, l’initiative gouvernementale est pour eux vouée à l’échec, d’autant plus qu’il s’agit d’un changement imposé et non planifié. Pourtant en la matière, parlant du changement des pratiques enseignantes, il faut noter que,

Le changement de pratique ne se décrète pas, mais dépend principalement des enseignants et de l’accueil qu’ils réservent aux nouvelles propositions pédagogiques. Une réforme prescrite, conçue comme un changement planifié décidé à partir d’une autorité centrale, provoque inévitablement des résistances et induirait surtout des changements de comportement en surface. Elle aboutit parfois même à des effets inverses à ceux escomptés (Maroy, 2006, p. 15).

Cette déclaration permet de justifier à suffisance l’affirmation de l’hypothèse vérifiée plus haut. Par ailleurs ceci dénote d’une fuite en avant clairement décriée par les experts en la matière (Lafortune, Etayebi, et Jonnaert, 2007) qui expliquent clairement la démarche à suivre lorsqu’il s’agit des réformes en éducation. Pour espérer obtenir les résultats inverses à ceux observés lors de la vérification de l’hypothèse, les réformes éducatives doivent être précédées d’une consultation générale de la communauté éducative, même s’il est vrai que les experts peuvent avoir la primauté sur la décision finale grâce à leur avis motivé. Chaque maillon de la chaîne éducative doit être consulté, les avis récoltés compilés et, un travail d’expertise réalisé par les spécialistes en la matière doit être adressé aux pouvoirs publics en dernier ressort. En effet, les enseignants révèlent que la décision gouvernementale est une étrangéité éducative sachant que les questions de paradigmes et de programmes d’enseignement sont des aspects très techniques pour lesquels, la mutation, la substitution ou l’annulation ne sauraient être entrepris aussi brusquement. Cette vision des enseignants implique qu’il faut des préalables incontournables à une telle initiative, notamment le sondage, le bilan (présentation des atouts et surtout des insuffisances des mesures de changement), l’établissement d’un diagnostic approfondi, la décision visant l’amélioration du paradigme existant ou la planification de sa substitution, pour ne citer que ceux-là. Les insuffisances relevées pour justifier l’infirmation de l’hypothèse ne peuvent pas se limiter sur le tracé décisionnel des autorités administratives au sujet du changement en contexte camerounais, mais, il faut aussi s’intéresser aux conditions d’implémentation dudit paradigme, qui d’ores et déjà présagent une évolution au forceps.

 

 

4.2 Au sujet du respect de la procédure de changement et de la méthode d’implémentation du nouveau paradigme pédagogique 

Le travail de terrain réalisé en prélude à la rédaction de cet article et les travaux connexes permettent de présenter comment les autorités camerounaises ont procédé au changement de paradigme pédagogique dans le système éducatif camerounais. En effet, depuis 2012, le Cameroun a acté le passage de la PPO à l’APC avec pour effets immédiats, la refonte des programmes, leur mise en expérimentation pour certains, ou encore leur application pour d’autres. A cette époque, les enseignants ont appris la nouvelle de la substitution de paradigme didactique au même moment qu’une cohorte de curricula était introduite à titre expérimental à la rentrée scolaire de l’année 2012-2013. Ces dispositions étaient introduites par les inspecteurs pédagogiques déployés sur le terrain à cet effet pour des fins de pilotage pédagogique et bien plus pour mettre en marche le changement décrété. 

Cependant, des clichés saisissants vont émailler le travail de ces derniers lors de leurs différents déploiements. De prime abord, parlons de l’effectif d’inspecteurs formés pour l’implémentation de l’APC au Cameroun. Selon Nkoumou (2015), le Cameroun aurait formé à l’étranger pas plus de six (6) inspecteurs pédagogiques, ces derniers étant chargés à leur tour de faire autant dans le territoire national. Dès le départ, l’on peut bien noter que cette disposition est déjà une faiblesse remarquable lorsqu’on sait comment est constituée l’inspection pédagogique camerounaise et son impact sur le pilotage pédagogique. En effet, au Cameroun, il n’y a pas de véritable différence entre les inspecteurs et les enseignants pour la simple raison que, depuis sa mise en place, l’environnement éducatif camerounais a constitué son inspection scolaire avec les enseignants chevronnés jouissant d’une solide expérience pédagogique. Cependant, au fil du temps, cette disposition n’a plus été respectée et la nomination au poste d’inspecteur est devenue un moyen de récompense des tiers où l’on note des nominations quelques fois fantaisistes et injustifiables. De même, l’inspecteur pédagogique ne l’est que de nom car, il n’a aucune formation professionnelle supplémentaire lui permettant d’avoir une avance sur les enseignants ordinaires. Or, selon la conception de base de l’UNESCO (1986) au sujet de l’inspection, le pilotage pédagogique est une composante essentielle du pilotage global de qualité de l’éducation.

Toutefois au-delà de cette réalité, il faut noter que les inspecteurs pédagogiques du Cameroun ne sont pas formés en tant que tel et donc, ne sont pas différents de simples enseignants. Ajouté à cela, le non-respect des mesures de départ qui accordaient tout au moins la primauté de l’exercice du pilotage pédagogique aux enseignants expérimentés nommés instamment inspecteurs pédagogiques a contribué à rabaisser la qualité du pilotage pédagogique ; c’est une raison de plus qui justifie la confirmation de l’hypothèse de recherche. C’est pourquoi, s’exprimant au sujet de la fiabilité et l’efficacité du processus de changement, 90% d’enseignants du secondaire la jugent négative. Même s’il est aussi à noter que ces inspecteurs dans leur large majorité n’ont pas été impliqués lors de prise de décision de changement, cela se répercute en plus sur l’accueil accordé à cette nouvelle mesure importante par les enseignants. Une fois de plus, leur réponse est négative lorsqu’ils s’expriment au sujet de leur implication dans la prise de décision du changement ; 95% d’entre eux révèlent leur mise à l’écart dans cette procédure. Une fois de plus, cette réalité contribue à justifier l’affirmation de l’hypothèse vérifiée plus haut, tout comme la posture de certains spécialistes en la matière (Paquay, 2007; Bouhon, 2008) qui soulignent l’importance ‘une bonne planification du changement dans les systèmes éducatifs.

Dans le même sillage de description de la stratégie d’implémentation de la nouvelle approche pédagogique, il convient de noter le problème de la formation continue, autrement dit, les enseignants de terrain doivent être sensibilisés à la connaissance du nouveau paradigme pédagogique. A ce sujet, il ne faut pas perdre de vue le nombre d’inspecteurs qui ont été mieux formés et recyclés à l’étranger pour la question – donc six au total selon Nkoumou – et qui avaient la charge de réaliser soit, la formation de tous les enseignants du pays, soit la formation des autres inspecteurs restés au pays afin que ces derniers participent à leur niveau à cette tâche. Dans cette transaction moins évidente, l’on enregistre des avis négatifs sur la qualité de la formation continue pour laquelle 90% des enseignants expriment leur insatisfaction totale. Au bout de cette battue, dans leur large majorité (92.5%), les enseignants sont pessimistes quant à la réussite du nouveau paradigme pédagogique. C’est pourquoi l’implémentation de l’APC est jugée depuis le haut comme une opération « balbutiante » depuis une décennie déjà.

Pour donner un avis clarifié de cette considération, les enseignants évoquent un ensemble de mesures qui auraient pu contribuer un changement réussi. De ces mesures, on retient l’organisation par les autorités administratives d’un examen approfondi du paradigme précédent avec un bilan assez clair, réalisé par les différentes composantes de la communauté éducative ; l’implication des enseignants praticiens au premier rang des personnes actives devant donner des avis sur l’état des lieux des activités d’enseignement-apprentissage et l’attribution des travaux de synthèse aux experts des questions éducatives pour la production d’un diagnostic final assorti des avis motivés et de propositions concrètes. Cette volonté relève d’une décision politique qui pourrait permettre l’engagement remarquable de toutes les couches sociales car, comme le dit  Maroy plus haut, leur mise à l’écart peut entrainer l’effet inverse. De ce fait, sans prétendre que tout ce qui entoure la mise en place de l’APC est un échec total, il convient de noter en filigrane qu’il existe malgré tout, des points positifs dans ce changement. Toutefois, son implémentation aurait été un succès certain si les problèmes de fonds que posait déjà la PPO étaient sérieusement pris en compte. Autrement dit, au-delà de l’obsolescence des instruments de la PPO, les problèmes structurels sont restés les mêmes et plombent de plus belle l’avancée de l’APC, d’où son balbutiement.

5. Conclusion

Tout compte fait, le présent article qui s’investit dans l’analyse de la gouvernance de l’école au Cameroun et de son impact dans les mutations paradigmatiques révèle au grand jour les défaillances structurelles et administratives qui émaillent la gouvernance et le pilotage scolaires. L’implémentation de l’APC depuis 2012 constitue la principale motivation de l’analyse critique de cette gouvernance. Au regard de ses imperfections et de ses effets négatifs sur la qualité de l’éducation, il est important de mentionner que la réalisation des mutations dans le secteur éducatif selon le modèle camerounais ne saurait contribuer suffisamment à atteindre le 4e ODD de l’ONU à l’horizon 2030. En effet, si des griefs importants et fondés sont formulés à l’endroit de l’administration de l’école au Cameroun, il n’en demeure pas moins que cette initiative regorge aussi des points positifs. En raison de cet aspect, il serait moins bénéfique de plaider pour la mise à l’écart complète de l’APC. La démarche de changement ayant déjà embrasé tout le système éducatif, il convient de réaliser une évaluation approfondie à mi-parcours. Dans cette dernière, l’occasion serait donnée d’impliquer tout au moins les experts en sciences de l’éducation afin qu’un diagnostic assorti de propositions concrètes soit fait dans l’optique de pallier aux manquements observés jusqu’ici. Dans cet exercice, il convient de noter que le volet du pilotage éducatif devrait être pris au sérieux en termes de réforme académique et administrative de toute l’inspection scolaire. Cela se justifie par sa place stratégique dans tout système éducatif, d’autant plus que tous les pays travaillent  actuellement à la réalisation du 4e ODD de l’ONU dans les délais indiqués. Toutefois, ces mesures quoique nécessaires semblent limitées car le pilotage pédagogique présente quant à lui d’énormes défaillances. Son amélioration en perspective pourrait aider à la prise de bonnes décisions.  

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