L’obligation Scolaire Et La Transition École-Collège Au Burkina Faso : Difficultés Et Suggestions D’amélioration Des Performances Des Élèves

Jean-Claude BATIONO 1, Innocent KIEMDÉ 2

1 Enseignant chercheur à l’École Normale Supérieure,

2 Doctorant en didactique des sciences expérimentales à l’Université Norbert ZONGO/Koudougou,

jclaudebationo@gmail.com,

         DOI : https://doi.org/10.60481/revue-rise.N1.3

Résumé                                                                                                                          

L’obligation scolaire au Burkina Faso a entrainé un grand effectif dans les écoles avec pour corolaire la baisse de la qualité des enseignements. Les statistiques annuelles montrent que le taux d’accès à la scolarisation est moyen et un taux d’achèvement peu reluisant (63% en 2019). En conséquence, le taux d’admission en 6ème reste faible (26,2% en 2019). Par ailleurs, dès la classe de 6ème la scolarité des élèves fait face à des obstacles. Cette situation suscite des questions relatives à la transition école-collège qui, en tant que moment clé de la scolarité, marqué par le changement d’établissement, est souvent difficilement vécue par les apprenants comme une rupture sur les plans affectif et pédagogique. Cette étude tente de mettre en lumière le rapport entre obligation scolaire, difficultés dans l’enseignement-apprentissage des contenus scolaires et transition école-collège. Elle permet de mettre en évidence des facteurs qui sont des obstacles à la transition école-collège et face auxquels les acteurs ont proposé des actions à entreprendre pour l’atteinte des objectifs de la loi d’orientation.

Mots clés : didactique des disciplines, obligation scolaire, transition école-collège, difficultés, formation des enseignants, harmonisation des curricula.


Introduction                                                                                                                    

Suite à la conférence mondiale sur l’éducation pour tous en 1990 à Jomtien, le Burkina Faso à l’instar de plusieurs autres pays a entrepris des réformes profondes de son système éducatif. Le processus qui s’est enclenché après les Etats Généraux de l’éducation en 1994 s’est poursuivi avec l’adoption d’une loi d’orientation de l’éducation en 1996 (qui fixait les grandes orientations scolaires et universitaires) et l’élaboration de divers documents-cadres de développement de l’éducation depuis lors. À la rencontre de Dakar en 2000, la prise en compte de la dimension holistique de la question éducative a amené à envisager de nouvelles visions en vue de l’atteinte des objectifs de Jomtien. Au Burkina Faso, cela se concrétise par l’adoption d’une nouvelle loi d’orientation de l’éducation : la loi n°013-2007 portant loi d’orientation de l’éducation, adoptée le 30 juillet 2007. Cette loi qui modifie la structure du système éducatif, consacré en son article 4, l’obligation scolaire à tous les enfants de six à seize ans et en son sixième article, la gratuité de l’enseignement de base public. L’on se pose alors des questions sur les répercussions d’un tel choix sur la scolarisation au Burkina Faso.

L’objectif de la présente communication qui met l’accent sur la recherche mixte est d’analyser l’effet de l’obligation scolaire sur la transion école/collège et le maintien des élèves à l’école afin de proposer des solutions aux difficultés y relatives. Pour atteindre cet objectif, nous examinerons la problématique de la recherche, ensuite suivra la méthodologie. Celle-ci traitera de la conception de la recherche, l’analyse des données, la présentation des résultats et de leur discussion et enfin des suggestions d’amélioration de la transition école-collège.

1.    Problématique

Le système éducatif burkinabè est organisé en ordre d’enseignement que sont le préscolaire, le primaire, le post-primaire, le secondaire et le supérieur. Le passage d’un ordre à un autre, en dehors du préscolaire au primaire, se fait par un examen. Il se produit comme une sorte de rupture entre ces ordres, liée au changement de milieu, d’habitudes, de mode d’enseignement qui commande un changement au niveau des apprentissages. En conséquence, le passage du cycle primaire (CM2) à la classe de 6ème au collège se fait difficilement pour bon nombre d’élèves au regard des taux d’abandon et de redoublement élevés. En outre, les taux de succès au CEP évoluent en dent de scie, témoignant l’existence de difficultés multifactorielles auxquelles doivent faire face les élèves et les enseignants chaque année. Le tableau ci-dessous indique les taux de redoublement de ces trois dernières années au plan national.

Tableau 1: Taux de redoublement au post-primaire

Années

Pourcentage de redoublants de la 6ème

Filles

Garçons

Total

2017-2018

17,9

18,4

18,2

2018-2019

22,2

22,1

22,1

2019-2020

21,4

21,3

21,4

Total

20,5

20,6

20,5

Sources:Annuaires statistiques 2017-2018, 2018-2019 et 2019-2020 du post-primaire (DGESS/MENA).

Les évaluations nationales et internationales indiquent des niveaux d’acquisition faibles en français et en mathématiques (Douamba, 1999). Mais dans les disciplines scientifiques en général les rendements au niveau des apprenants sont faibles. En effet, selon le rapport d’état du système éducatif national (RESEN, 2014) c’est dans les sciences (Maths et SVT en particulier) que les élèves obtiennent les plus bas scores (moins de 10/20) lors des évaluations nationales des acquis (cf. UNESCO, 2017). Même si des scores élevés ne justifient pas à eux seuls un meilleur apprentissage, les scores obtenus indiquent sans doute qu’il y a une insuffisance d’appropriation des savoirs dans ces disciplines. Dans le rapport du Plan Sectoriel de l’Education et de la Formation (PSEF) il est mentionné que « l’enseignement des sciences et des mathématiques s’opère souvent de manière aride et déconnectée du milieu et de la réalité quotidienne des enfants, y compris au primaire, cela tend à accélérer la déconnexion aux enseignements » (PSEF, 2017, p. 41). Les acquis scolaires sont globalement moyens en fin de cycle primaire. Mais une fois au post-primaire ces acquis regressent progressivement, occasionnant ainsi des échecs considérables. Cette régression est reconnue par le RESEN (2017), qui d’ailleurs, soutient que « la qualité des services éducatifs doit être significativement améliorée pour permettre à tous les élèves d’acquérir les compétences de base requises par rapport à leur niveau scolaire ». Plusieurs travaux tentent d’élucider les facteurs qui agissent sur la transition à l’école (Colomb et al., 1987; Chanteux, 1989; Bessot, 2015; Meunier-Dubé et Marcotte, 2017). Mais la problématique sur cette question de transition école-collège est moins documentée en Afrique comme d’ailleurs sur bien d’autres domaines et les variables les plus saillantes de cette problématique sont en cohérence avec les indicateurs économiques et sociaux des pays. La question de la faiblesse des capacités d’accueil, d’enseignants et d’encadrement pédagogique au post-primaire justifie le maintien d’un concours d’entrée en 6ème et le recours systématique au privé pour accueillir des élèves dans le but de pouvoir respecter l’esprit de continuum et de gratuité. Cependant, il faut noter qu’en prônant l’obligation scolaire sans prendre en compte les leviers/freins de la transition école-collège, les efforts pour une éducation pour tous demeureront vains. Dans cette optique, la présente étude s’interroge sur les facteurs pouvant mettre en péril ces efforts.

2.    Méthodologie

2.1.      Conception de la recherche

Une approche à la fois quantitative et qualitative a été utilisée dans le cadre de cette recherche (Karsenti, 2006; Creswell, 2009; Dumez, 2013) qui a lieu en avril-mai 2021 au Burkina Faso dans dix (10) villes appartenant à six (6) régions du pays. Ce sont Ouagadougou, Koudougou, Réo, Bobo Dioulasso, Orodara, Gaoua, Diébougou, Ouahigouya, Fada N’Gourma et Pama. Les zones rurales situées aux alentours de ces villes ont été incluses. Le choix des six régions se justifie par leur accessibilité, l’expérimentation de la réforme curriculaire depuis la rentrée scolaire 2019-2020, du taux d’admission en sixième. (cf. annuaires statistiques des cinq dernières années). Les participants de l’étude sont des élèves dont Cent (100) du CM2 et cent (100) en 6ème, des enseignants dont cinquante (50) du primaire et cinquante (50) du post-primaire, des chefs d’établissement, des parents d’élèves et des partenaires sociaux. Les disciplines concernées par l’étude sont les mathématiques/calcul, le français et les SVT. Les outils de collecte des données sont le questionnaire, l’entretien, le focus groupe et l’observation de classe.

Après l’analyse des données quantitatives, l’approche qualitative est mise en œuvre. Elle a consisté à faire des observations de classes au CM2, en 6ème et procédé à des entretiens avec les chefs d’établissement, les parents d’élèves et les partenaires sociaux.

2.2.                Analyse des données

L’analyse des données s’est faite en deux étapes : l’analyse déductive qui a consisté en une analyse des données recueillies à la suite de la collecte des données quantitatives.

Quant à la seconde étape d’analyse, elle intervient à la suite de la collecte de données qualitatives. C’est une analyse inductive basée sur la nature des données recueillies qui a consisté à l’identification de thèmes récurrents à la lecture des données recueillies.

3.    Résultats

3.1.                Les performances des élèves de CM2

Pour ce qui est des performances des élèves de CM2, nous nous sommes intéressés dans un premier temps au lien entre le sexe des élèves et leurs performances et dans un second temps au lien entre le sexe des élèves et leurs perceptions des disciplines.

3.1.1.   Lien entre le sexe des élèves de CM2 et leur performance

Des données recueillies, il apparaît que 45,4% des élèves ayant participé à l'étude ont une très bonne performance en français dont 43,1% de filles et 48,5% de garçons. Aussi 47,8% ont une performance passable dont 46,0% de garçons et 49,1% de filles. Quant aux performances en calcul, 48,0% dont 38,7% de filles et 59,9% de garçons ont une très bonne performance contre une performance passable de 47,2% des élèves, dont 56,4% de filles et 35,5% de garçons. Tout comme pour les performances en français, les performances en calcul sont assez bonnes.

Tableau 1:Répartition des élèves de CM2 selon leur niveau en français et en calcul et le sexe

Discipline

Sexe

Très bien

Passable

Faible

Français

Masculin

48,5%

46,0%

5,6%

Féminin

43,1%

49,1%

7,8%

Ensemble

45,4%

47,8%

6,8%

Calcul

Masculin

59,9%

35,5%

4,6%

Féminin

38,7%

56,4%

4,9%

Ensemble

48,0%

47,2%

4,8%

Sources: données de l’enquête terrain

Dans l’ensemble, il apparaît que les performances des élèves en français et en calcul ne divergent pas trop surtout pour ce qui est des performances passables. Toutefois, il faut noter que les garçons semblent s’en sortir mieux en calcul qu’en français.

Les filles ont majoritairement une performance passable en calcul, soit 56,4% contre 35,5% des garçons. La performance des filles est passable en français pour 49,1% contre 46% chez les garçons. Elles ont plus de difficultés que les garçons aussi bien en français qu’en calcul, même si l’écart est très minime en calcul.

3.1.2. Lien entre le sexe des élèves de CM2 et leur perception sur les disciplines

Le tableau ci-dessous donne la perception des élèves du CM2 selon le sexe: globalement, 53,7% des élèves trouvent que le français est facile et 56,9 % trouvent les calculs faciles. En éclatant ces statistiques selon le sexe, les garçons (68,2% contre 47,9% pour les filles) ont une perception plus positive du calcul que les filles. Quant aux filles, 56,0% perçoivent plutôt le français comme étant facile. D’une manière générale ces statistiques montrent que les filles éprouvent des difficultés aussi bien en calcul qu’en français (selon respectivement 41,1% et 49,1% des filles).

Tableau 2: Répartition des élèves de CM2 selon leur perception sur le français et les mathématiques et le sexe

Discipline

Sexe

Faciles

Difficiles

Très difficiles

Français

Masculin

50,9%

46,0%

3,1%

Féminin

56,0%

41,1%

2,9%

Ensemble

53,7%

43,3%

3,0%

Calcul

Masculin

68,2%

28,1%

3,7%

Féminin

47,9%

49,1%

2,9%

Ensemble

56,9%

39,9%

3,3%

Sources: données de l’enquête terrain

3.1.3. Avis des élèves de 6ème sur leur performance en classe de CM2

Les élèves de 6ème donnent leur appréciation sur la performance qu’ils avaient un an au paravent. Cette appréciation a porté sur le français et les calculs.

3.1.3.1 Répartition des élèves de 6ème selon leur niveau en français et en mathématiques en classe de CM2 et le sexe

Le tableau 3 ci-dessous indique le niveau des élèves en mathématiques et en calcul selon le sexe. On note en français que le pourcentage des élèves ayant un très bon niveau est plus élevé chez les filles (65,6%) que chez les garçons (59,7%). En calcul cependant, ce sont les garçons qui se distinguent avec un pourcentage plus élevé (73,9% contre 70,4% des filles). Il faut aussi noter que le pourcentage de garçons estimant avoir un niveau passable est plus élevé que celui des filles en français, respectivement 36,6% et 32,6%.

Tableau 3 : Répartition des élèves de 6ème selon leur niveau en français et en calcul en classe de CM2 et le sexe

Discipline

Sexe

Très bien

Passable

Faible

Français

Masculin

59,7%

36,6%

3,6%

Féminin

65,6%

32,6%

1,7%

Ensemble

62,6%

34,7%

2,7%

Calcul

Masculin

73,9%

24,8%

1,3%

Féminin

70,4%

28,2%

1,4%

Ensemble

72,2%

26,4%

1,3%

3.1.3.2. Répartition des élèves de 6ème selon leur perception du français et des mathématiques en classe de 6ème et le sexe

L’analyse du tableau 4 indique que la perception des élèves de 6ème sur le français et les mathématiques selon le sexe semble diversifiée. Le pourcentage d’élèves ayant une bonne perception du français est plus élevé au niveau des filles (51,5%) que des garçons (46,2); quant aux calculs, le tableau donne 42,2% chez les garçons et 33% chez, les filles.

Tableau 4: Répartition des élèves de 6ème selon leur perception sur le français et les mathématiques en classe de 6ème et le sexe

Discipline

Sexe

Très bien

Passable

Faible

Français

Masculin

46,2%

45,9%

7,9%

Féminin

51,5%

39,9%

8,6%

Ensemble

48,8%

42,9%

8,2%

Calcul

Masculin

42,2%

48,8%

8,9%

Féminin

33,0%

53,3%

13,7%

Ensemble

37,7%

51,0%

11,3%

3.3. Appréciation du niveau d’abandon en classe de 6ème par les chefs d’établissement

Les chefs d’établissement ont été sollicitées à se prononcer sur le niveau d’abandon des élèves en classe de 6ème.

Figure 1: Niveau d’abandon des élèves en classe de 6ème

Source : enquête terrain

Le graphique 1 montre que 5,1% d’hommes enquêtés estiment le niveau d’abandon très élevé, alors que les femmes ne sont pas de ce point de vue. En outre, 19,7% des hommes estiment que le niveau d’abandon est élevé contre 7,1% de femmes. En clair, pour la majorité (plus de 90%) des femmes chef d’établissement, le niveau d’abandon est faible ou très faible. Ce résultat a été confirmé par les entretiens auprès des parents d’élèves et des partenaires.

3.4. Appréciation du niveau de redoublement en classe de 6ème par les chefs d’établissement

Le graphique suivant rend compte de l’opinion des chefs d’établissements sur le niveau de redoublement en classe de 6ème. En effet, le niveau de redoublement est faible pour 37,2% d’hommes et pour 57,1% de femmes. Il est cependant élevé pour 40,9% d’hommes et pour 14,3% de femmes.

Figure 2: Niveau du redoublement des élèves en classe de 6ème

Source : enquête terrain

3.5. Appréciation des chefs d’établissements sur le niveau de réussite en français en classe de 6ème

En ce qui concerne le niveau de réussite en français (figure 3), 23,7% de chef d’établissement estime qu’il est faible. Il en est de même pour 61,6% d’hommes et 50% de femmes. Le français étant une langue étrangère pour la majorité des apprenants, l’apprentissage reste un défi pour eux. La langue d’apprentissage devient un handicap pour les apprenants.

Figure 3: Appréciation du niveau des élèves en français en classe de 6ème

Source : enquête terrain

 3.6. Appréciation des chefs d’établissements du niveau de réussite en mathématiques en classe de 6ème

Le niveau de réussite en mathématiques est faible pour l’ensemble des chefs d’établissement: 66,7% des hommes et 57,1% des femmes.  

Figure 4: Appréciation du niveau des élèves en mathématiques en classe de 6ème

Source : enquêté terrain

Au regard de ce qui précède, notamment à travers les appréciations des chefs d’établissements, un cursus normal ne peut s’effectuer que difficilement dans ces conditions de transition pour les élèves de 6ème. Ces appréciations ont concerné le niveau d’abandon, le niveau de redoublement, le niveau de réussite globale en classe de 6ème, le niveau de réussite en français et en mathématiques en classe de 6ème. Elles rappellent la nécessité de prise de mesure pour relever le niveau de performances des élèves en mathématiques.

3.7. Appréciation des enseignants de 6ème sur les performances des élèves

Les enseignants enquêtés se répartissent comme suit : en français 41,3%, en mathématiques 27,5%, en Histoire et Géographie 20,6% et en SVT 13,4%. Selon le genre, nous avons 68,8% d’hommes et 31,2% de femmes.

Le graphique suivant montre des points de vue sur les performances presque identiques : il n’y a pas de divergences ni de différences majeures liées au genre des enseignants enquêtés dans leur appréciation des performances des élèves.

Figure 5: Appréciation de la performance des élèves selon le sexe de l'enseignant

4.    Discussion

Au regard de ces taux, les conditions de la transition contribueraient à affecter les efforts de l’obligation scolaire, car selon ces enquêtés, beaucoup d’élèves seraient menacés d’abandon scolaire. En effet, la transition a été identifiée dans la littérature comme étant source de plusieurs défis aux performances scolaires des apprenants. Elle est perçue comme étant un passage vulnérable pour les apprenants et entraine une baisse du rendement et de motivation (Benner et Graham, 2009, Douamba 1999). La transition a effectivement été relevée comme défis pour bon nombre d’apprenants par les chefs d’établissement et les enseignants. ESO-CE4 a rapporté que «  beaucoup d’élèves sont obligés de loger chez un tuteur parce qu’ils n’ont pas de collège dans leur village. Il y a aussi ceux qui sont issus de familles démunies où avoir mangé une fois par jour est un défi. Au primaire, ils avaient la cantine, mais au collège, ils doivent se débrouiller ».

Ces constats sur les difficultés de la transition nous révèlent que le problème de la transition ou plus exactement des transitions se situe dans les articulations des structures du système éducatif burkinabè, c’est-à-dire les passages entre les classes, les cycles et les ordres d’enseignement. Quitter le primaire pour le post-primaire constitue bien pour l’élève une rupture. Cette situation est à l’origine d’obstacles majeurs à la scolarisation et au maintien des élèves à l’école. Les ruptures qui se produisent d’un cycle à l’autre nécessitent un accompagnement pour la réussite des apprenants selon Morvan (2012).

Duval (2017) dans une étude similaire sur le décrochage scolaire et la transition primaire-secondaire a constitué trois catégories de facteurs qui sont d’ordres personnels, familiaux, scolaires ou sociaux. L’analyse des propos des enseignants que nous avons recueillis a permis de mettre en évidence ces facteurs. Ces propositions sont en majorité relatives à la discipline, à la disponibilité des documents, à la motivation des élèves, à la disponibilité des enseignants... Les extraits suivants qui sont des propos des enseignants en sont des illustrations :

·         formation des enseignants, disponibilité des documents, effectif moyen (QC-ECM41);

·         sensibilisation des élèves, bibliothèques (QCO-ECM20) ;

·         discipline, assiduité, ponctualité (QE-ECM15) ;

·         compréhension du cours, exercices d'application, rigueur (QHB-ECM7).

Au niveau scolaire, il est question d’adaptation des élèves aux méthodes d’enseignement, de disponibilité, de matériel didactique, d’un climat scolaire favorable aux apprentissages, de manque de rigueur, de laxisme…

Au niveau personnel, les enseignants ont fait ressortir l’angoisse que vivent les élèves au cours de la transition dont la conséquence est la faible adhésion aux activités qui leur sont proposées par manque d’intérêt. Ce qui est source de retards, d’absences, d’indiscipline et enfin de décrochage. Dans la même veine, Kaboré (2015) avait fait la même observation; mais selon lui, l’angoisse dans laquelle vivent certains élèves au cours de la transition école-collège proviendrait de leurs mauvais rapports avec les enseignants. Toutefois, au-delà des facteurs personnels, il convient d’adjoindre l’environnement familial dans lequel l’enfant évolue.

Au niveau familial, les enseignants ont souligné le manque de suivi des parents : certains parents ne vont s’enquérir du travail de leurs enfants que sur convocation où en fin d’année. Quant aux facteurs pouvant empêcher les élèves de réussir leurs apprentissages, nous retiendrons les avis suivants qui sont les plus récurrents :

·         les absences, l'indiscipline, les retards (QC-ECM3, QCO-ECM16, QSO-ECM27) ;

·         le manque de manuels et d'électricité (QE-ECM33, QCO-ECM42, QHB-ECM50) ;

·         les effectifs pléthoriques, l’inadaptation des programmes et l’indiscipline (QHB-ECM5, QN-ECM35, QE-ECM19, QCO-ECM14, QSO-ECM9) ;

·         le manque de manuels et de suivi parental, les mauvaises conditions de vie familiale (QCO-ECM11, QC-ECM10, QE-ECM40) ;

Par ailleurs, au regard des données recueillies, il apparait que les apprenants de 6ème avaient de très fortes performances au CM2. Selon la littérature, bon nombre d’apprenants arrivent en 6ème tout enthousiastes et prêts à se faire de nouveaux amis (Reay et al., 2000), ce qui les prépare à une transition positive. Cependant, une fois en 6ème, les apprenants affrontent la transition avec anxiété et inquiétude et voient ainsi un déclin de leur estime en soi (Seidman et al., 1996 ; Otis et al., 2005), toute chose qui favorise une baisse des fortes performances constatées au CM2. Cette décadence s’explique selon les enseignants du primaire par le manque de congruence entre les contenus des programmes du CM2 et ceux de la 6ème. Une enseignante du primaire (ESO-ECM1) estime que les contenus de français sont discontinus dans les deux classes. Un autre enseignant ECO-ECM1 a noté que « quand vous prenez les mathématiques, ce que nous leur apprenons en arithmétique, quand ils arrivent en 6ème, il n’y a pas cette continuité. Donc il y a des enfants qui n’arrivent pas à suivre là-bas ».

Tout compte fait, les performances des élèves sont diversement appréciées par les enseignants du primaire. Une enseignante (EE-ECM11) affirme que : « mes élèves ont des difficultés en français et en maths. Lorsque je fais les cours, ils s’en sortent bien. Ils répondent bien aux questions, mais ils n’apprennent pas les leçons, ce qui fait qu’ils oublient ce qu’ils ont appris en classe ». Il ressort nettement dans ce propos, un manque de contextualisation au point que les apprentissages se passent souvent par cœur et il n’y a pas d’acquisition réelle.

En comparant les performances des élèves de 6ème lorsqu’ils étaient au CM2 et leurs perceptions du français et des mathématiques en 6ème, il semble y avoir un déclin. Ce déclin pourrait être motivé par plusieurs facteurs, dont l’absence de continuité entre les pratiques pédagogiques et didactiques du primaire et du secondaire et par la différence curriculaire entre le primaire et le secondaire (De Kesel, Dufays et Meurant (2011).

La transition favorise ainsi selon Benner et Graham (2009) une baisse du rendement des apprenants et de leurs motivations ainsi que des changements comportementaux.

Pour juguler toutes ces difficultés pour une meilleure transition entre le primaire et le postprimaire, des suggestions ont été faites.

5.    Suggestions

Face aux difficultés qui impactent négativement la transition école-collège, des suggestions ont été faites en vue de l’atteinte des objectifs de l’obligation scolaire: une meilleure articulation des pratiques d’enseignement entre l’école et le collège; l’initiation de rencontres pédagogiques des enseignants du primaire et du post-primaire ; une meilleure formation académique et professionnelle des enseignants pour relever leur niveau ; la mise à disposition de bibliothèques scolaires ; plus d’engagement des parents dans la réussite scolaire de leurs enfants ; le développement d’une politique adéquate de remédiation pour améliorer le passage automatique comme la réorganisation du primaire et du post-primaire en instaurant un seuil de compétences à atteindre par niveau ; le relèvement du niveau des enseignants des deux ordres, l’amélioration des modes d’évaluation au primaire et au collège, un pilotage qui favorise le rapprochement des deux niveaux dans les approches curriculaires et les pratiques enseignantes, la poursuite des efforts de l’État et des partenaires pour améliorer l’environnement scolaire en réduisant les effectifs dans les classes, et.

 

 

Conclusion,

le Burkina a tenu les États généraux de l’éducation en 1994, puis adopté une loi d’orientation en 2007 qui a institué l’obligation scolaire de 6 à 16 ans par la mise en œuvre du passage automatique. Outre la priorité absolue accordée à l’éducation de base à travers cette loi d’orientation, les stratégies du gouvernement ont visé, ces dernières années, le développement quantitatif, qualitatif, l’amélioration de la scolarisation des filles et de la capacité des institutions en charge de la gestion de l’éducation. Toutefois, les statistiques annuelles indiquent de forts taux de redoublement et d’abandon, confirmés par les recherches empiriques de la présente recherche et qui sont la preuve de nombreuses difficultés que rencontrent les élèves au cours de leur scolarité. La démarche méthodologique adoptée a permis de collecter auprès des acteurs variés du système éducatif des données dont l’analyse a permis de préciser des difficultés inhérentes à la transition école-collège. Ils indexent non seulement les curricula surchargés et manquant de cohérence et de congruence, mais également la formation des enseignants ainsi que l’accès à la documentation qui devraient être améliorés et la quasi-absence de bibliothèques scolaires fonctionnelles. La remédiation consiste, selon les acteurs à l’allègement des programmes, au renforcement de la congruence entre les deux ordres d’enseignement et à l’amélioration de la formation des enseignants.

Références bibliographiques

Benner, D. et Graham, S. (2009). The transition to high school as a developmental process among multiethnic urban youth. Journals Child Development, 80, 356-376.

Bessot, A. (2015). Pourquoi s’intéresser aux transitions entre cycles d’enseignement? Comment problématiser les phénomènes didactiques liés à ces transitions ? 5ième Colloque International FrancoVietnamien en Didactique des Mathématiques, May 2015, HUE, Vietnam. hal-01163266.

Chanteux, M. (1989). Les pratiques des enseignants en arts plastiques. Contribuer à leur description en CM2 et en 6ème. Revue Française de pédagogie. 87, 5-13.

Colomb, J., Guillaume, J.-C. et Charnay, R. (1987). Articulation École/Collège. Quels contrats disciplinaires en mathématiques ? Revue Française de Pédagogie, 80, 25-36.

Creswell, J. W., M. D. Fetters, V. L., Plano, C. et Morales, A. (2009). “Mixed Methods Intervention Trials.” In Mixed Methods Research for Nursing and the Health Sciences, edited by S. Andrew, and E. Halcomb, 161–80.

De Kesel, M., Dufays, J.L. et Meurant, A. (2011). Le curriculum en question : la progression et les ruptures des apprentissages disciplinaires de la maternelle à l'université. Louvain: Presses universitaires de Louvain.

Douamba, K. J-P. (1999). Echec en mathématiques au Burkina Faso : approche de quelques causes en classe de sixième. (Mémoire de fin de formation à la fonction d’inspecteur de l’enseignement secondaire. Koudougou, ENS/UK, Option : Mathématiques).

Dumez, H. (2015). Méthodologie de la recherche qualitative. Les 10 questions clés de la démarche compréhensive. Vuibert : France.

Duval, J. (2017). L’implication parentale pour favoriser l’enseignement lors de la transition primaire-secondaire : perceptions de parents et de leur adolescent à risque de décrochage scolaire (Thèse de doctorat de l’Université du Québec à Chicoutimi).

Kaboré, S. L. (2015). Les facteurs et conséquences du redoublement dans l’enseignement primaire au Burkina Faso. Dans : https://lefaso.net/spip.php?article62680 consulté le 23-09-2021.

Karsenti, T. (2006). Pragmatisme et méthodologie de recherche en sciences de l’éducation : passons à la version 3.0. Formation et Profession.

Morvan, J. (2012). Postface. Dans N. Abillama-Masson, En mal d’un chez-soi: À l’écoute de la parole des jeunes de l’ASE, 143-145. Toulouse: Érès.

Otis, N. F., Grouzet, M. E. et Pelletier, L. G. (2005). Latent motivational change in an academic setting: a 3-year longitudinal study, Revue, Journal of Educational Psychology, 2, P. 170–183.

Reay, D. et Lucey, H. (2000). Children, school choice and social differences. Revue Educational Studies 26, 83-100.

Seidman, E. J., Lawrence, A. J., Allen, L. et French, S. E. (1996). The impact of the transition to high school on the self-system and perceived social context of poor urban youth. Revue, American Journal of Community Psychology, 24, 489–515.

Meunier-Dubé, A. et Marcotte, D. (2017). Évolution des symptômes dépressifs pendant la transition secondaire-collégial et rôle modérateur des distorsions cognitives . Revue de psychoéducation, 46 (2), 377–396. https://doi.org/10.7202/1042256ar, consulté le 12 février 2021.

Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales [MENAPLN] / Direction générale des Études et des Statistiques sectorielles [DGESS] / Burkina Faso. Annuaire statistique post primaire et secondaire 2019/2020.

Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Alphabétisation [MENA] / Direction générale des Études et des Statistiques sectorielles [DGESS] / Burkina Faso. Annuaire statistique de l’enseignement primaire 2016/2017, Octobre 2017.

Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Alphabétisation [MENA] / Direction générale des Études et des Statistiques sectorielles [DGESS] / Burkina Faso. (2018).